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bob dylan - Page 3

  • CHRONIQUES DE POURPRE 504 : KR'TNT ! 504: FRANCOISE CACTUS / BOB DYLAN / CHESTERFIELD KINGS / ROCKABILLY GENERATION NEWS / ERIC BURDON AND THE ANIMALS / ROCKAMBOLESQUES XXVII

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 504

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    01 / 04 / 2021

     

    FRANCOISE CACTUS + STEREO TOTAL

    BOB DYLAN / CHESTERFIELD KINGS

    ROCKABILLY GENERATION NEWS 17

    ERIC BURDON AND THE ANIMALS

    ROCKAMBOLESQUES 26

     

    À crédit et en Stereo Total - Part Two

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    En découvrant d’un œil oblique le piano mécanique, la batterie rachitique et la guitare parallélépipédique posée au sol, on redoutait le pire. Puis rappliqua un grand échalas squelettique qui s’appliquait à imiter la saucisse de Strasbourg apoplectique, suivi à deux pas d’une silhouette féminine énigmatique au visage orné de lunettes académiques. Ils allaient ensemble orchestrer la musique automatique. Elle allait fredonner des couplets drolatiques pendant que lui allait produire le trash épileptique en plaquant sur sa guitare géométrique des accords d’une puissance biblique. Selon un principe purement mécanique, Françoise Cactus et Brezel Göring interprétèrent d’une manière pragmatique le plus bel échantillon d’electro-trash dadaïstique qui se pût imaginer ici bas, foi d’amateur boulimique. Passèrent à la moulinette christopho-avertyque une «Nationale 7» et un «Comme d’Habitude» vitriolés à grands jets spasmodiques de distorsion météorique et pulsés sur un tempo frénétique jamais démenti. Lors de cette soirée de mars mythique (2002), la Mutualité cajola son public avec cette bonté de paume pharaonique qui rend les souvenirs tellement poétiques.

    Comme Françoise Cactus vient de casser sa pipe en céramique, nous ressortons de Pictures Of Lili, petit book symbolique tiré en 2002 à deux exemplaires, ce court texte symptomatique pour lui rendre un ultime hommage emblématique.

    Signé : Cazengler, Zéro Total

    Françoise Cactus. Disparue le 17 février 2021

     

    Dylan en dit long - Part Three

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    Avec seulement une poignée d’albums, Bob Dylan fit en six ans autant de dégâts en Occident qu’en fit la révolution d’Octobre quarante ans auparavant. Il est encore difficile de mesurer la portée réelle de la révolution dylanesque. Avec du recul, les historiens sauront le faire. La principale caractéristique de cette révolution est qu’elle fut pacifique. Ni Armée Rouge ni armée blanche, seulement une acou et un harmo. Mais ça n’est pas tout. Dylan fut l’un des premiers à amener du contenu dans un univers considéré à juste titre comme superficiel. Alors que le rock américain divertissait, Dylan dénonçait. Il aurait pu se contenter de dénoncer comme le faisait déjà Woody Guthrie, mais il comprit que pour atteindre un public plus large, il devait aussi poétiser et créer de la magie. Nous fumes des millions à tomber sous son charme. Les sept albums qu’il enregistra entre 1965 et 1970 sont les grands albums magiques américains, au même titre que les sept albums de Jim Morrison.

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    Il faut le voir, le jeune Bob, sur la pochette de Highway 61 Revisited, premier album de la trilogie qui va asseoir son aura dans l’inconscient collectif : il semble déjà rockstarisé sans l’être, il dégage un truc, mais il ne s’agit là que de grâce naturelle. Comme chez Elvis et Jimbo, sa grâce est ailleurs, dans l’expression de son art qui tout au long de l’album n’en finit plus de jouer avec le feu du génie, et ce dès l’overwhelming «Like A Rolling Stone», un cut qu’on adorait jadis à la folie. Diable comme ces paroles ont pu nous hanter, au moins autant que le suicide de Jacques Rigaut, like a complete unknown, ça marque à vie, un truc pareil, you say you’ll never compromise/ With the mystery trend et c’est exactement ce qu’on a fait, we’ve never compromised. En 1966, chaque matin au réveil on chantait «Tombstone Blues» - Mom is the the factory/ She ain’t no shoes/ Dad is in the alley/ he’s looking for food/ I’m in the kitchen with the Tombstone blues awite - Bob est un punk et il a fait de nous des punks avant l’heure. En même temps, il invente le dandysme de l’Americana, Dylan c’est Rimbaud avec une guitare électrique. «It Takes A Lot To Laugh It Takes A Train To Cry» donne une vision du heavy blues dylanesque. Il tire sur ses syllabes à outrance. Là on comprend qu’on est baisé, qu’on ne pourra plus jamais se détacher de lui. Dylan folk ? Tu rigoles ? Il est le plus magnifique rocker d’Amérique. Cinglant sans être cinglé. Pour les ceusses qui ne l’auraient pas compris, l’élégance est la principale vertu de ce vice qu’on appelle le rock. «From A Buick Six» sonne comme un violent shoot de toxic brass. Dylan le respire dans ses rimes, il taille sa dentelle de Calais - She don’t/ Talk too much - Il casse son rock pour le plaisir et gueule comme s’il vendait des harengs. Et il finit ce bal d’A historique avec la fameuse chanson offerte à Sloan, «Ballad Of A Thin Man», encore une fois fabuleusement contrebalancée - Something’s happening here/ But you don’t know what it is/ Do you/ Mr Jones ? - On voudrait que ces chansons ne s’arrêtent jamais. Avec Jimbo, Dylan est le seul artiste auquel on accorde un pouvoir divin. Tout ici est fabuleusement prophétique. Bien sûr, les thèmes politiques dont il traite en 1965 ne sont plus d’actualité, mais la beauté des chansons le reste. «Queen Jane Approximately» est un classic Dylan swagger nappé d’orgue - Won’t you come see me Queen Jane - et dans le morceau titre, Bloomy est en plein bloom, jouant ventre à terre. Back to the big heavy blues avec «Just Like Tom Thumb’s Blues», Dylan s’y montre fascinant d’aisance et de too soooon et cet album mirifique s’achève avec Cinderella sleeping on/ Desolation row. Ce chef-d’œuvre crépusculaire décrit bien la chute de la maison Usher, and the good Samaritan/ he’s getting dressed, car il s’en va ce soir sur Desolation Row. C’est un conte moral sur-dimentionné, un poème fleuve du même calibre qu’«Il n’Y A Plus Rien», Dylan et Léo même combat - And nobody has to think much about Desolation Row - Dylan stigmatise l’indifférence qui tue plus sûrement que le serpent mamba de Tarentino.

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    Sur la pochette de Bringing It All Back Home, Dylan tient un chat gris dans ses bras. Il porte un costard sombre et une chemise blanche rayée de bleu avec de gros boutons de manchettes. L’image déclencha en son temps pas mal de vocations de dandys. Paru dans la foulée de Highway, Bringing grouille de coups de génie, notamment l’enchaînement de trois cuts, «Outlaw Blues», «On The Road Again» et «Bob Dylan’s 115th Dream». Le premier est monté sur une structure de boogie blues râpée à vif dans le son - She’s a brown skin woman/ But I just love her the same - Et les deux autres demandent beaucoup plus d’attention car Dylan évoque des tas de personnages. Dans les 11 couplets du 115th Dream, il croise le capitaine Achab. Pur genius. Mais si on ne chope pas l’anglais, on est baisé. Bringing rocke moins qu’Highway, mais un cut comme «Subterranean Homesick Blues» casse bien la baraque car quel fantastique talking blues ! Dylan y va à coups d’harmo et d’énergie. Tout Antoine vient de là. Il est aussi capable comme on l’a dit de coups de magie et «She Belongs To Me» va rester pour beaucoup l’une des chansons parfaites des Silver Sixties. «Maggie’s Farm» ne prend pas une ride, I ain’t gonna work on Maggie’s farm no more, nous non plus, c’est du punk rural, Dylan claque sa revoyure de la gadouille. Puis il nous chope avec l’infinie mélancolie de «Love Minus Zero/No Limit» - My love she’s like some raven/ At my window with a broken wing - Il termine cet album si dense avec «It’s All Over Now Baby Blue» qu’il s’en va chanter au sommet de son art - The carpet too/ Is moving under you/ And it’s all over now/ Baby blue.

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    Pour beaucoup de fans, Blonde On Blonde illustre le sommet le l’âge d’or dylanesque. C’est un double album qu’on réécoutait à longueur de journée, souvent pour continuer de déchiffrer les passages qu’on ne comprenait pas. Cet album démarrait avec l’hymne préféré des druggies, «Rainy Day Woman». Chaque fois que l’oppression/répression se manifestait, on chantait «Everyboy must get stoned !». L’un des grands heartbreaking blues d’Amérique restera «Pledging My Time» - I’m peldging my time/ To youuuu - «Visions Of Johanna» fout des frissons dès les premières nappes d’orgue. C’est aussi mélodiquement pur que «Like A Rolling Stone» - And these visions of Johanna/ they kept me up/ Past the dawn - En fait on se demandait comment Dylan pouvait mémoriser des textes aussi densément longs. On s’était posé la même question le soir où on vit Leo Ferré chanter seul les yeux au ciel «Il n’Y A Plus Rien», un poème fleuve qui occupe une face entière sur l’album du même nom, comme d’ailleurs «Sad Eyed Lady Of The Lowlands» en D. Il n’y a qu’une seule réponse : seules les intelligences supérieures peuvent fournir cet effort de mémoire. L’autre exemple est celui de Philippe Caubère qui dans sa série de one-man shows au Théâtre des Champs Élysées parlait trois heures d’affilée sans guide. Dylan, Ferré et Caubère évoluent dans une autre dimension, celle du texte pur. On vit aussi Jean-Louis Trintignant se livrer à cet exercice funambulaire avec une lecture d’environ deux heures des Lettres À Lou d’Apollinaire. «Visions Of Johanna» échappe définitivement au rock pour aller vers un univers de vision pure, car de toute évidence Dylan décrit ce qu’il voit - The harmonicas play the skeleton keys/ And the rain/ And these visions of Johanna/ Are now all that remain - Mais ce n’est pas fini car voici l’un des all time favorites, «One Of Us Must Know». Porté par le souffle des nappes, Dylan monte au sommet du sooner or later, c’est l’une des plus grandes odes à la beauté de tous les temps, ou plutôt une ode à l’incommunicabilité des choses telle qu’elle se manifeste parfois entre un homme et une femme - Sooner or later/ One of us must know/ That I really did try to/ Get close to you - Dylan en fait tout simplement une mystique hugolienne et devient l’un des plus grands artistes de l’histoire du genre humain. Nous n’en pouvions mesurer la portée à l’époque. En C, on tombe encore sur des choses spectaculaires comme «Absolutely Sweet Marie», un soft-rock flamboyant, fabuleusement chargé d’or fin et couronné par une élocution magique, joliment cavalé et illuminé aux licks de Tele. Dylan nous faisait plus rêver que les Rolling Stones, il faut bien l’avouer. Son sentimalisme était celui dans lequel on se retrouvait le mieux. Cheveux bouclés, écharpe à carreaux et copine d’enfance qui dans le bois de Boulogne te jure un amour éternel. Early in the morning ! Voilà comment il attaque «Obviously 5 Believers», à la punkitude céleste de Nashville. Aw comme ces mecs jouent sec et net, et Dylan pousse bien à la roue son I’m callin’ you to/ I’m callin’ you to/ Please, come home.

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    Album surprenant que ce John Wesley Harding. Paru en 1967, l’album brouille bien les pistes. La pochette nous fait croire que c’est un délire de folkeux mais dès le morceau titre, on ravale sa bave, car voilà un fabuleux shoot d’Americana. Charles McCoy swingue son gros bassmatic rural et Bob souffle dans son harmo en fer blanc, alors c’est du pur jus, bien battu par Kenny Buttrey. On tombe plus loin sur le stupéfiant «All Along The Watchtower» - There must be some kind of way out of there/ Said the joker to the thief/ There’s too much confusion/ I can’t get no relief - Version stripped down, mais quelle belle attaque, Dylan nous décrit un vrai horizon, et ça tourne à la magie, avec cet élan surréaliste que reprendra un peu plus tard Jimi Hendrix - Outside in the distance/ Two riders were approaching - Ça se corse merveilleusement et Bob lâche l’extrême onction - And the wind began to howl - «All Along The Watchtower» reste l’un des plus beaux hits de tous les temps. On s’émerveille aussi d’«I Dreamed I Saw Saint-Augustine» qui est un fait la même chose que la chanson de Joe Hill que chante Joan Baez à Woodstock - I dreamed I saw/ Joe Hill last night/ Alive as you and me - C’est encore de la pure magie dylanesque - So go on your way accordingly/ But know you’re not alone - D’ailleurs, à la fin du cut, il pleure. Il termine son bal d’A avec le fantastique shuffle de «Difter’s Escape». La fête se poursuit en B avec «I’m A Lonesome Hobo», pur jus de groove rampant. Il règne sur cet album une fantastique ambiance de sous-bois. Des Indiens accompagnent Bob et ça sent bon la wild Americana. Oh et ce groove de basse rurale ! Oh et ce Bob qui chante à l’excellence de la lancinance ! Que peut-on espérer de mieux ? Restons dans le groove d’Americana sauvage avec «Tke Wicked Messenger». Il n’y a plus aucune trace d’électricité, tu es paumé dans l’empire des bois.

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    On croyait Dylan éteint avec Nashville Skyline paru en 1969. Sans doute à cause de l’acou qu’on voit sur la pochette. Mais c’est au contraire un big album. C’est là-dessus qu’on trouve «Girl From The North Country», l’un des balladifs qui font l’histoire du rock. Cash prend le deuxième couplet. C’est en gros le même plan mélodique que celui de «Lay Lady Lay» qui figure en ouverture du bal de B. Avec le morceau titre, Dylan revient à la country. C’est donc la fin de l’electric ride. On le voit faire un numéro de haute voltige vocale dans «To Be Alone With You» et «I Throw It All Away» signe le retour des grandes nappes d’orgue. Le génie dylanesque s’exprime alors à nouveau, et à l’état le plus pur. Cut après cut, Dylan se livre à une sorte de reconquête. En fait, il fallait surtout éviter de lire les critiques à l’époque et faire confiance à l’artiste. On se régale encore de quelques bricoles en B, notamment de «One More Night» car c’est bourré de son et de shuffle. On a là un sacrément bel album. Nouveau coup de semonce avec «Country Pie», tapé au wild guitar slinging de Nashville. Dylan veille bien au grain de l’excellence. Il termine avec l’imparable «Tonight I’ll Be Staying Home With You». Ce big Dylan d’all your love chante par dessus la skyline. Il est encore à cette époque le Dylan de rêve, le Dylan limpide, il donne au rock américain ses lettres de noblesse, il sait ouvrir un horizon, no more out of the window, tout est imprégné d’inspiration.

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    Les deux albums parus en 1970, New Morning et Self Portrait, sont très différents. Sur la pochette de New Morning, Dylan apparaît comme un mec normal, mais bon, c’est Dylan. Il attaque cet album du renouveau avec «If Not For You» et retrouve la voix du jeune Dylan. George Harrison en fera une cover sur All Things Must Pass. Charlie Daniels et Harvey Brooks l’accompagnent, c’est du soft swing, avec une batterie légère. Un sorte de retour en grâce. Dylan fait le choix du soft rock bien rythmé, mais il n’exclut pas la nonchalance. Il pianote pour aller voir la diseuse de bonne aventure de «Went To See The Gypsy» et renoue avec le power de la harangue. On est content de retrouver le Dylan de la harangue. Dans le morceau titre qui ouvre le bal de la B, on assiste à un beau festival de guitares. Certainement David Bromberg, avec Brooks derrière. La photo qui est au dos date de 1962 : debout à côté de Victoria Spivey, Dylan tient la beat up guitar de Big Joe Williams montée avec 9 cordes. Cette photo n’est pas là par hasard.

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    En réalité, le double album Self Portrait est paru quelques mois avant New Morning et fut mal accueilli. Chaque fois que Dylan a opté pour de brusques changements d’orientation, ça a provoqué des remous. Dans le gatefold, on voit quelques photos de Dylan à la campagne mais aussi deux shoots en studio avec une ribambelle de lascars. Ce double album est bien sûr nettement moins dense que Blonde On Blonde, mais il ne faut pas regretter ni de l’avoir acheté ni de l’avoir écouté, car même si Dylan change, il reste captivant. Il reprend l’«Early Morning Rain» de Gordon Lightfoot et en fait un cut charmant, une véritable merveille de good time music. Il retrouve ses aises de Jo le hareng de la harangue avec «Days Of 49» et nous place un joli slow blues avec «Alberta #1», monté sur une bassline bien grasse - Alberta don’t you treat me unkind - En B, il repend le «Let It Be Me» de Gilbert Bécaud et sort le grand jeu pour «Belle Isle» : nappes de violons, espagnolades, un enchantement. Plus loin en C, Dylan tâte de l’Americana avec «Gotta Travel On». Bob Johnson signe une prod très âpre. Si on aime la basse rustique, alors on se régale. Nouvelle cover avec «The Boxer» de Paul Simon, suivie d’un retour aux sources avec «The Mighty Queen (Quinn The Eskimo)». C’est en D que se planque la perle : «It Hurts Me Too», un blues classique que Dylan prend en mode round midnite avec une stand-up derrière et c’est superbe. On trouve aussi une version live de «She Belongs To Me» tiré de Bringing et tout ce bazar s’achève avec «Alberta #2», vieux boogie de deep Americana joué dans une superbe ambiance et cette belle basse n’en finit plus de rôder comme le furet.

    Signé : Cazengler, Bob Divan

    Bob Dylan. Highway 61 Revisited. Columbia 1965

    Bob Dylan. Bringing It All Back Home. Columbia 1965

    Bob Dylan. Blonde On Blonde. Columbia 1966

    Bob Dylan. John Wesley Harding. Columbia 1967

    Bob Dylan. Nashville Skyline. Columbia 1969

    Bob Dylan. New Morning. Columbia 1970

    Bob Dylan. Self Portrait. Columbia 1970

     

    Chesterfield Kings road

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    Difficile de croire que Greg Prevost approche des 65 ans. C’est pourtant ce qu’affirme Jon Mojo Mills dans le chapô d’interview au long cours que Prevost accorda au mois de juin à Shindig. Pour la double d’ouverture, Mills ne s’est pas trop cassé la tête, il a repris le visuel de Mississippi Murderer, le premier album solo de Prevost : on le voit assis sous un casque de mèches dressées à la Keef et rehaussé de coulées multicolores de type Wizard A True Star, vêtu d’un haut de fille jaune qui dénude entièrement l’épaule, d’un skinny legs troué aux genoux et grattant un antique dobro du Mississippi. Bien sûr, il est assis dans un cimetière.

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    Tous les amateurs de garage connaissent les Chesterfield Kings, une institution que Greg Prevost a fondée en 1982. Mais ce n’était pas son premier groupe. Dix ans auparavant, il avait monté Mr Electro & The Psychedelic Burnouts - Inspiration was the Stones, Stooges, Yardbirds, 13th Floor Elevators, Amon Düül II, John Cage, Sun Ra, MC5 - et voilà, c’est parti pour la valse des influences. Comme tous les mecs un peu dégourdis de cette époque, Prevost s’arrange pour échapper au draft (le mortel équivalent américain du service militaire en France), pour travailler dans un magasin de guitares et pour bricoler un fanzine. Il est en contact avec Greg Shaw et quand paraît Nuggets, il connaît déjà tous les groupes qui y figurent, car il écoute la radio, comme le font tous les mecs dégourdis de cette époque. Il est encore plus dégourdi qu’on ne pense car il va au CBGB en 1976, mais pour lui, ce qu’on appelle le punk en 76 n’a rien à voir avec le punk sixties, celui des Shadows Of Knight, des Blues Magoos et de Music Machine. Bon, Prevost travaille at the House Of Guitars dont le boss n’est autre qu’Armand Schaubroek. C’est une relation qui va durer 35 ans. Quand Mills le branche sur son rapprochement avec le Chocolate Watchband en 1978, Prevost répond sèchement que c’est une longue histoire qu’on pourra lire dans son autobio à paraître. La température chute brutalement. Mills n’ose plus trop poser de questions indiscrètes.

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    Alors, il branche Prevost sur le premier album. Cassant, Prevost répond qu’il n’a rien de spécial à en dire, sinon qu’il a fait ce qu’il avait en tête à cette époque - which is what I had in mind in the first place - En 1982, les Chesterfield Kings voulaient encore ressembler aux Stones de 1965, mais ils le firent à l’Américaine : sur la pochette d’Here Are The Chesterfield Kings, il y a trois Brian Jones au lieu d’un. Les Américains ont souvent la main lourde. Andy Babiuk, Doug Meech et Orest Guran ont tous les trois les franges de cheveux blonds comme les blés. Du coup, Greg Prevost assis au premier rang passe inaperçu et Rick Cona a l’air de sortir d’un ranch du Montana, avec son gilet en peau de vache et son gros pantalon à rayures bleues. Ils n’ont pas vraiment de son distinctif, mais ils parviennent tout de même à faire de la Stonesy avec un «Our Side Chance» monté un beau beat rebondi et «I’m Going Home» qui sonne comme le «Flight 505», yeah yeah. On les sent investis d’une mission extrêmement divine. Ils sont même en plein «Goin’ Home». On trouve encore une petite giclée de Stonesy en A avec «Little White Lies». Ils ont tous les réflexes du bon son. En B, il rendent hommage aux Chocolate avec l’excellent «No Way Out» d’Ed Cobb. Ils jouent ça bien psyché avec la belle basse dévorante d’Andy Babiuk. Côté garage, ils se montrent à la hauteur avec «Come With Me», joli cut convaincu d’avance, sautillé à l’orgue, monté sur une rythmique impeccable, doté d’un bel allant et du petit panache de Rochester. L’autre pièce de choix de ce premier album est une reprise du «99th Floor» des Moving Sidewalk. Ils la jouent à la cocote gaga très épurée avec un son clairvoyant - We won’t stop till we get to the nine nine floor - Pour faire bonne mesure, Rick Cona passe un petit solo à la Billy Gibbons.

    Mills fait remarquer à Prevost que trois ans séparent Stop du premier album. Prévost répond qu’il a ramé pour trouver un label. Il ajoute qu’il n’est pas très content de cet album. Il dit que c’est l’ANTI-80 album - I fucking hate the 80s as most people know - and everything after it. I fucking hate EVERYTHING after 1974 with few exceptions - Au moins comme ça les choses sont claires.

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    Les trois Brian Jones sont encore plus stoniens sur la pochette de Stop. Andy Babiuk porte même un pantalon rouge. Cette fois, ils se diversifient au plan musical. Les deux fins de faces sont des merveilles de gaga cra-cra, dans l’esprit des Pretties, mais en mode snarl américain. Prevost chante «Say You’re Mine» à la morve verte, il fait sa petite gouape des bas-fonds. Il finit la B de la même manière avec «Bad Woman» : belle démonstration de force, joli shoot de gaga punk sixties américain, sans la moindre trace de sale petite concession. Avec son joli solo d’orgue, «It’s Alright» pourrait figurer sur n’importe quelle compile de revival gaga. Rick Cona se paye un joli départ en solo dans les règle du lard fumé. On les voit aussi aller sur des trucs plus byrdsiens comme «I Cannot Find Her» et sortir des harmonies vocales typiques de l’âge d’or des anciennes civilisations. Mais c’est aussi le défaut de l’album : ils font trop d’exercices de style, comme s’ils voulaient exhiber leur pedigree. Leur gaga finit par devenir gentil, comme s’ils l’avaient peint en rose. Ils sont aussi capables de sortir une belle pop saturée de guitares flamboyantes, comme le montre «I Don’t Know Why». Ils excellent dans ce monde intermédiaire où excellaient jadis les Byrds et les Hollies. «She’s Got No Time» finit aussi par séduire, avec ses fins de refrains bien rebondies et ses coups d’harmo.

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    Prevost aime à répéter qu’il vit dans le passé - My whole image is a combinaison of 10 years : 1964 to 74 - Quand Mills l’amène sur le terrain du troisième album, Don’t Open Til Doomsday, Prevost fait une grimace épouvantable. Le groupe allait mal et allait se séparer, sauvé in extremis par Dee Dee Ramone qui leur file même un cut, «Baby Doll». Prevost évoque ensuite la tournée européenne de 63 dates sur 3 mois - Nearly physically killed me. I fucking hated everybody in the band and quit when I got home - Doomsday porte bien son nom. C’est avec cet album que Prevost commence à se coiffer avec un pétard. Une grosse mèche jaillit sur le côté gauche de son crâne. Le seul à respecter les vieilles règles de la Stonesy, c’est Andy Babiuk, qu’on appelle aussi le fidèle, en Palestine. Disons-le franchement, l’album peine tragiquement à convaincre. On s’ennuie comme un rat mort pendant toute l’A, jusqu’à «Someday Girl». Voilà enfin du gaga un peu wild orné de clameurs d’Oh. C’est en B que se joue le destin du Doomsday, avec ce fantastique «Social End Product» en forme de grand saut dans le vide. Rick Cona passe un killer solo flash dans «No Mind No Soul». C’est lui qui vole le show, ici, toutes ses interventions nous gavent comme des oies. Voilà «Look Around» dévoré par un bassmatic d’Andy Babiuk. Ça joue sous un sacré boisseau. Ils terminent l’album en beauté avec «Doin’ Me Wrong». Ils savent rendre la pop nerveuse et hausser le ton quand il le faut et Rick Cona illumine le cut d’un autre killer solo flash.

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    Le mec qui remplace Rick Cona dans le groupe parvient à convaincre Prevost de revenir. Alors il revient en bougonnant. Comme le son du groupe change, Prevost songe à changer le nom du groupe, mais ils restent les Chester - Too stupid to do that - On leur reproche un son trop hard dans The Berlin Wall Of Sound. Prevost rétorque : «It was the band at the time, a state of mind. We lost fans, gained others.» Mais bon, quand on tombe sur «Richard Speck», on est bien content, car quelle beigne ! Prevost chante son ultra gaga punk au summum de la voyoucratie avec derrière lui un Rocco en alerte rouge. On ne peut que crier au génie sous un tel déluge d’animalité. Dommage que tout l’album ne soit pas du même niveau. Il faut attendre la fin du bal d’A pour renouer avec la dégelée. Ils roulent ma poule avec «(I’m So) Sick And Tired Of You», ça file droit chez les Chester et Rocco multiplie les prodiges télescopés. Le son berlinois lui va à ravir : énorme écho sur la batterie et voix bien en avant. Joli solo de Rocco et ses frères dans «Branded On My Heart» et les lignes de basse du Babiuk sont toujours aussi dévorantes, comme le montre «Teenage Thunder». Ils repiquent une belle crise de Stonesy en fin de B avec «Who’s To Blame», une crise disons d’era Exile, c’est noyé de slide donc ça ne pardonne pas. Et toujours cette belle basse bourdonnante.

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    Par contre, ils se vautrent un peu avec Drunk On Muddy Water. Ils démarrent avec un gag nommé «Pick A Bale Of Cotton» : on croit entendre des Indiens qui cueillent du coton. Et le gag continue avec une mouture de «Bright Lights Big City» pas piquée des vers. Prevost chante comme un vieux nègre alcoolique qui va dégueuler. On assiste à une faillite totale de sa crédibilité. En forçant son guttural, Prevost se ridiculise. Il fait du guttural de train fantôme. L’album se transforme assez vite en farce atroce. Prevost chante au dégueulis de cabane en carton-pâte. C’est l’un des meilleurs gags de l’histoire du rock. Il invente le dégueu du delta. Ah quelle rigolade ! Il bat tous les records de kitscherie avec «Little Red Rooster». Encore jamais entendu un clown pareil. Comme s’il se raclait la glotte à la toile émeri. L’album finit par devenir insalubre. Il se prend pour un fils d’esclave dans «Walkin’ Blues». C’est incompréhensible qu’il puisse chanter si connement. Pour sa version de «Rollin’ Stone», il chante comme Popeye. Le pire c’est qu’il en fait une version bien allumée. Avec «I’m In The Mood», Il plonge dans l’écume des jours et restitue l’imparabilité du heavy blues. C’est excellent. Dommage qu’il ait flingué tout le début de l’album avec son exacerbation glottale. Il termine avec un «I’m Your Hoochie Coochie Man» qu’il massacre à coups de cris d’orfraie. Dommage car il y a une belle énergie derrière.

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    Prevost adore son album live avec le Paisley Zipper Band, Long Ago Far Away, paru en 1990. C’est un album de reprises solides dont trois de Bo, «Pretty Girl», «Roadrunner» et l’excellent «Diddy Wah Diddy» joué à la patate chaude. Prevost met tout le chien de sa chienne dans Bo et bat tous les records de punkerie à la big bad Bo. Mine de rien, sa version vaudrait presque celle de Captain Beefheart. Hommage aux Stones aussi avec un «Jumpin’ Jack Flash» just perfect, awite ! On sent que Prevost adore ça. Quel carnassier ! Ils font aussi un «Midnight Rambler» qui n’a rien à voir avec «Midnight Rambler» puisque c’est «Love In Vain», avec le fameux suitcase in my hand. Bel hommage à Wolf aussi avec «Smokestack Lightning». Ce sacré Prevost ne lâche jamais sa rampe, c’est un tenace, un féroce contender. Par contre ils se vautrent avec un «Great Balls Of Fire» bien bourrin joué comme une charge, mais ce n’est pas la Charge de la Brigade Légère. Encore un clin d’œil aux Stones avec le morceau titre bâti sur le riff magique de Keef dans «Monkey Man». Ces éclairs de lumière remontent au temps béni de Let It Bleed. Prevost y pique sa crise, comme Jag à l’époque.

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    Mills prend des risques en évoquant le projet d’album avec Johnny Thunders. Prevost ne prend pas de gants pour répondre : «Ça ne pouvait pas déboucher. He was too fucked up on drugs. Nice guy, mais impossible de finir une seule chanson.» Alors, pour éviter que ça ne dégénère, Mills embraye sur Let’s Go Get Stoned. Prevost révèle qu’à l’époque il était enragé. Il parle de raw energy - The raw energy was a state of mind - On connaissait de grands exemples de mimétisme réussi : Union Carbide Productions pour les Stooges et les Subsonics pour le Velvet. Avec Let’s Go Get Stoned, les Chesterfield Kings sont encore plus stoniens que les Stones. C’est même l’un des plus grands hommages jamais rendus aux Stones. Et pourtant, ils brouillent un peu les pistes avec «Johnny Volume» qui fut le premier pseudo choisi par Johnny Thunders. Mais avec la cover de «Street Fighting Man», tout devient évident. Ils optent pour un énorme son de basse, mais ils ne vont pas jusqu’à imiter le minikit de Charlie Watts. C’est un nommé Paul Rocco qui se tape le beau solo vipérin et la basse d’Andy Babiuk gronde délicieusement dans l’épaisseur du son. Tous les morceaux de l’album sont prétexte à exercices de Stonesy style : «Drunkhouse» vaut pour un honky tonk blues de cabane, «Sing Me Back Home» de Merle Haggard se transforme en une sorte de «Dead Flowers», «One Foot In The Graveyard» vaut pour un bon swagger digne d’Exile, très typé, avec de la slide. Kim Simmons de Savoy Brown vient faire son Mick Taylor sur «It’s Getting Harder All The Time», mais son toucher de note est beaucoup trop délicat pour la Stonesy. Encore une belle leçon de swagger avec «I’d Rather Be Dead». Ils font une cover d’un cut des Stones pas très connu, «Can’t Believe It» et en profitent pour défoncer la rondelle des annales. En B, on trouve un «Rock’n’Roll Murder» co-écrit avec Kim Fowley. On parlait de Mick Taylor, ah bah tiens le voilà dans «I’m Not Talking», un cut bien énervé signé Mose Allison et que Prevost chante comme une petite gouape. On finit par tomber sur un vrai coup de génie : «Long Ago Far Away» qu’ils démarrent avec les ah-ouh de «Sympathy For The Devil» et qui roule ensuite sur les accords magiques de Keef dans «I’m A Monkey». Avec leur incroyable perspicacité, les Chesterfield Kings s’installent au panthéon de la Stonesy.

    Prevost attaque la période suivante en s’acoquinant avec Sundazed, puis Wicked Cool, le label de Little Steven. Mais ce n’est pas une période facile pour lui, car il y a du turn over dans le groupe. Il se retrouve avec des mecs beaucoup plus jeune que lui, 15 ou 16 ans d’écart, et donc, il s’oriente sur ce qu’il appelle des «projets» de type Surfin’ Rampage et Where The Action Is - Which are novelty records, more or less - mais boy, quels novelty records !

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    Joli novelty record que ce Surfin’ Rampage paru en 1997 : existe-t-il plus bel hommage rendu à Brian Wilson et à Gary Usher ? Non. Prévost et Babiuk se sont même arrangé les cheveux pour ressembler à des surfeurs. Comme son titre l’indique, tout sur cet album est on the beach, à commencer par sa longueur : 32 cuts, dont certains très connus comme «Little Honda», vrai shoot de BiBi craze. It’s alright ! Ou encore «Our Car Club», ils y ramonent la BiBi craze férocement, ils jouent à la heavyness méphistophélique. Ils tapent aussi dans le «Summer Means Fun» de PF Sloan. Cet album effare par la qualité du son et par son énergie. Ils le font pour de vrai. C’est un hommage aux Beach Boys mais avec un son plus gaga. Ils font du pastiche énergétique et ça sonne juste. Autant leur Drunk On Muddy Water sonne comme un gag, autant leur Surfin’ Rampage sonne comme un petit chef-d’œuvre pastichier. Leur ferveur impressionne. Dans «Farmer’s Daughter», Prevost chante comme Brian Wilson, il pulse son chat perché, tout est juste, le punch, les harmonies vocales et le soleil. En plus c’est signé Gary Usher. Ils vont vite en besogne, les voilà déjà partis à fond de train avec «Draggin’ Deuce». Ils reproduisent tous les éclairs du génie BiBi et se régalent du délire des machines («Shelby GT 356»). En fait, ils réinventent l’énergie perpétuelle du never ending summer. Encore une jolie BiBi craze avec «Black Denim», Prevost claque sa chique du coin de la bouche, ce mec est un démon. Encore du big bouzin de moulin avec ce «RPM» dédié à Gary Usher et Brian Wilson. «Double Red High» sonne comme un classic BiBi craze avec les harmonies à nœud-nœud et des chœurs de rêve. En fait, les solos de Ted Okolowicz sont du pur gaga. Gary Usher est partout sur la plage, le voici encore avec «My Little Bike» et ça donne un killer surf craze. Check my custom machine, miaule Prevost dans «Custom Machine». Fantastique obsession ! Prevost est un géant qui explore les mystères de la plage. S’il est un groupe qui peut se vanter de savoir jouer le surf gaga, c’est bien les Chester ! Tout est hyper joué dans les règles du lard. Ils visent l’impeccabilité des choses. Encore du Sloan avec «Tell ‘Em I’m Surfin». On frise l’overdose, mais c’est le but du jeu. Ils n’en finissent plus de revenir sautiller sur la plage.

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    Nouvel exercice de style avec Where The Action Is, l’album de reprises. Bienvenue au club des spécialistes ! Prevost ne tape pas dans les Gypsy Kings, mais dans les Gypsy Trips avec «Ain’t It Hard», un vieux retour de titille sixties joué dans l’écho du temps, mais avec un certain génie. Prevost lui allume bien la gueule, the beat goes on, pas de meilleure restitution possible. Avec cet album ils ressuscitent l’esprit du gaga sixties et Prevost en rajoute, il en fait même un peu trop dans «Wrong From Right» avec ses uh. Avec le «Five Years Ahead Of My Time» du Third Rail, ils tapent dans l’un des fleurons du gaga sixties. On entend de belles guitares psyché. Quel régal ! Et c’est là que Mark Lindsay duette avec Prevost sur «Where Do You Go From Here». Avec «I Walk In Darkness», Prevost bat Van the Man à la course. C’est une OPA sur «Gloria» chanté à la sale petite délinquance. Tout y est, l’I walk/ in/ darkness, le wouaahh de dommages collatéraux, les rebondissements d’harmo et les screams dans la cave. Bel hommage aux Standells avec «Sometimes Good Guys Don’t Wear White». À ce petit jeu, les Chester sont aussi bons que les Nomads. Prevost fait bien son Dick Dodd, il racle bien son tell your moma and your popa, il connaît toutes les ficelles du caleçon et revient inlassablement à son moma et son popa. Ils reprennent aussi le «Don’t Blow Your Mind» des Spiders, juste avant Alice Cooper. Prevost le chante à la colère noire. Il n’est pas homme à se calmer, au contraire. Ted Okolowicz passe un killer solo flash dans le «1-2-5» des Haunted. Prevost revient faire sa petite gouape des bas fonds et souffle dans l’harmo des Problèmes. Belle cover du «Little Girl» des Syndicate Of Sound, puis Babiuk bassmatique le «You Rub Me The Wrong Way» des Beatles et la farandole s’achève avec le «Happenings Ten Years Ago» des Yardbirds. Ted Okolowicz se prend pour Jeff Beck. C’est pas mal, mais il a encore du boulot.

    Au début du XXIe siècle, les Chester sont passés de mode et n’ont plus d’audience aux États-Unis. Le groupe bat de l’aile puis redémarre en 2002 avec l’arrivée de Paul Morabito. Les Chester renaissent de leurs cendres avec trois fantastiques albums, The Mindbinding Sounds Of…, Psychedelic Sunrise et Live Onstage If You Want It.

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    Autant appeler un chat un chat : The Mindbinding Sounds Of… est une bombe. Tous les titres de l’album sont bons, sans exception, tiens comme cet «Endless Circles» que redore le blason du gaga psyché. Ou encore ce «No Entity» où ils se prennent pour les Yardbirds. Et ça marche. Ils sont encore plus royalistes que le roi. Ils rendent un bel hommage aux Stones avec «Flashback», watch out ! Ça pue le Jack Flash à plein nez. Ils jouent le cut qu’ont toujours rêvé de jouer les Stones. C’est à ce moment précis qu’ont réalise que les Chester ont du génie, car il en faut pour savoir rendre des hommages aussi superbes. Autrement, ils font beaucoup de gaga punk, à commencer par «I Don’t Understand». Ils se situent dans le mood des meilleurs exemples, avec le son des guitares, les chœurs d’artichauts et ce mec qui chante à l’avenant. Heavy power psychédélique. Un hit de rêve. Celui dont rêvent tous les jukes. Ils restent dans heavy gaga psyché avec «Runing Through My Nightmares». Ils ont le pouvoir et sortent un son violemment pur. Prevost chante à la force du nez, ils vont même trop loin car le cut leur échappe. Ils font aussi du gaga de Stonesy avec «Somewhere Nowhere». Tout ce qui les intéresse dans la vie, c’est de charger leur chaudière. Tout ici n’est que heavy psychedelia. «Transparent Life» sonne comme un shoot de psyché cavalé ventre à terre. Prevost fonce à la folie Méricourt. C’est pour ça qu’on l’admire. Il n’est pas du genre à ralentir ou à baisser les bras. Ils rendent un bel hommage à Bo Diddley avec «Death Is The Only Real Thing». Merci Bo, car ce riff est le plus distinctif de tous. N’allez surtout pas prendre les Chester pour des brêles, ce serait leur manquer de respect en manquant de clairvoyance. On l’a déjà dit, mais on le redit : tout est bon sur cet album qu’il faut considérer comme un album classique.

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    Avec le temps, les Chesterfield Kings gagnent en crédibilité sonique et graphique. Il suffit de voir la pochette de Psychedelic Sunrise et d’écouter ces énormités que sont «Streaks & Flashes» et cet «Elevator Ride» bardé du meilleur son qu’on puisse espérer. Ça sonne comme des hits de pop anglaise. On se croirait sur Between The Satanic Buttons Request. Le son éclate. C’est un album qui grouille de surprises, dès «Sunrise», shoot de heavy punk psychédélique. Ils cherchent l’au-delà du commun des mortels avec un son arrosé de giclées mirobolantes. À ce petit jeu, ils sont imbattables. Avec «Rise And Fall», ils basculent dans la heavy psychedelia de la pire espèce et Prevost chante comme un crevard, avec toute la hargne du monde. Il chante à la victoire certaine. Il ne sait faire que ça, peaufiner sa chique. Voilà encore un cut chargé de son, bien languide et culminé. Un beau killer solo illumine «Up & Down». «Inside Looking Out» nous ramène dans les sixties, back in the past, comme dirait Prevost. Il chante à la force de sa voix de nez, avec un petit côté Johnny Thunders, et c’est entrecoupé par un fier solo d’incartade. Bienvenue dans le big business. Trois merveilles se disputent le trône en B : «Spanish Sun» (monté sur le thème de «Paint It Black»), «Outtasite» (pur garage hell avec le gros riff de fuzz à la «I Could Only Give You Everything», écrasant de power, avec une fuzz qui s’étrangle en plein course, c’est du golden casquette de gaga, les Kings sont bien des Kings) et «Stayed Too Long» (on se croirait une fois de plus sur Exile, c’est exactement le même son, mais là les élèves dépassent les maîtres, Prevost est encore pire que Jag). Et il n’existe pas de meilleurs «Yesterdays Sorrows» que ceux des Chester. Ils sont sur une niche, ni trop gaga, ni trop Stonesy, ni trop psyché, disons un astucieux mix des trois. Les fans du groupe ont bien sûr écouté le CD qui va avec l’album, car on y trouve des bonus diaboliques. À commencer par «The Wrong Place To Hide», stupéfiant d’allant, radical, on se croirait dans un Back From The Grave, beautiful sixties gaga punk flavour, l’art suprême de la gelée royale. Ils sont magnifiques de mimétisme tentaculaire. Et ça continue avec «Stop! Hey! Take A Look Around», plus pop et entraînant, fantastique de look around, ils arquent aux guitares des Byrds et brament non pas à la lune mais au miraculeux matin d’été 65 quand tu es jeune et que tu as encore tes 32 dents bien blanches, hey look around ! Ils finissent en removant «Thre’s A Time» à la heavy fuzz. Ils ne reculent devant aucun sacrifice et il faut les saluer pour ça. Ils descendent très profondément dans le son, c’est leur mantra.

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    Live Onstage If You Want It permet de confirmer tout le bien qu’on pense des Chester. Sur scène, leurs hommages aux Stones prennent une ampleur considérable. Ils annoncent la couleur dès «Up & Down» et jettent toute leur ferveur dans la balance. C’est un vrai sludge, l’apanage de la heavy Stonesy. Ils la fracassent, le pauvre Jag peut aller se rhabiller. Prevost démolit tout, backed par la pire équipe de killers outta here. Ils sonnent comme les Stones en 63, mais à la puissance 1000. S’ensuit le cash out de «Sunrise», ils sont les rois de la maintenance du feu sacré, ça sent le garage brûlé et ça repart en mode Stonesy avec «Transparent Life», le fameux clin d’œil à «Paint It Black». Ils dégoulinent d’une classe beaucoup trop pure. «Non Entity» les porte au sommet du rave up. Ces sales voyous sodomisent le gaga punk à coups d’I can’t come back, wow comme ça claque ! Prevost fait le job et marche dans la colique d’un solo liquide. Wouah ! On note qu’Andy Babiuk joue sur une basse Vox Teardrop. Fantastique version du «Flashback» monté sur l’intro de Jack Flash, Prevost sort toute l’arrogance de Rochester pour réactiver le mythe de Jack Flash. On voit le fantôme de Brian Jones danser dans le doom. Prevost chante aussi son «Dawn» à la racine des dents, à chaque fois, il semble mener un assaut. Nouvelle crise aiguë de Stonesy avec «Stayed Too Long» et Prevost s’assoit sur ses lauriers. Un «Stayed Too Long» qu’on croirait sorti d’Exile, véritable boogie down de Nellcôte, exactement le même, cos’ I try so hard. Ils font un détour par les flammes de Raw Power pour «Johnny Volume» et replongent dans leur gaga chéri avec «Outasite». Prevost y place des awites fermes et définitifs. Le festival se poursuit avec un hommage aux Them, «I Walk In The Darkness», I look at my windoye, ah quel sale punk, il a du son derrière lui, alors il en profite. Pur jus de Them frenzy, right down on the floor, fantastique giclée d’I walk in the graveyard. Oui ça pue le graveyard et le jus de chaussette et cette façon qu’il a de relancer le darkness ! Call my name ! Wow ! Ils tapent aussi dans le «Rock’n’Roll Murder» co-écrit avec Kim Fowley et optent une fois encore pour la stoogerie. Prevost se prend pour un Iggy de Rochester. Ils n’en finissent plus de jouer au sommet de leur art. Peu de gens sont capables de passer de la Stonesy à la stoogerie sans coup férir. On se prosterne donc jusqu’à terre.

    Avec le CD, Wicked Cool nous offre le DVD du set. Doc extrêmement intéressant. On voit tout de suite que Prevost a pompé toute la gestuelle de Rod the Mod. Exactement la même allure, mais avec le power américain. Les autres passent très bien eux aussi : Mark Boise énorme au beurre, Babiuk sur Teardrop et Paul Morabito pépère sur Tele. Ce qui frappe le plus, c’est de voir Prevost revenir en 1972 : il joue beaucoup avec son pied de micro et s’approche souvent de la caméra. Il a une grosse mèche dressée sur le sommet du crâne et deux ou trois autres colorées. Il joue énormément son personnage et tombe à genoux facilement. Il peut même ramper au sol avec son micro. Physiquement il est très complet. Même trop complet. Il est même si léger que dans «Dawn», il tombe à genoux et se relève d’un petit bond, sans s’aider des mains. Ils font toute une série de cuts en acou («I Don’t Understand», «Gone», «Sing Me Back Home» et «Drunkhouse»). Cadré serré, Prevost n’a pas l’air aimable. Babiuk se prend encore plus pour Brian Jones avec son acou. Et pour jouer les deux cuts dollsy («Stayed Too Long» et «Johnny Volume»), Morabito change de guitare et joue sur une Les Paul Junior, comme Johnny Thunders, et forcément le son est là tout de suite. Quand Prevost se roule par terre, il réussit l’exploit de rester coiffé. Tout cela impressionne au plus haut point.

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    Et voilà, Mills aborde le sujet qui fâche : la fin des Chester. Prevost : «It was like a firecracker that fizzled out. We ran our course basically and people lost interest in us.» (Ça s’est terminé comme ça devait se terminer. On avait fait le tour et le public était passé à autre chose). Il ajoute que c’est le destin de tous les groupes qui durent 30 ans, unless you are the Stones or Aerosmith. Prevost indique qu’il a quitté le groupe qu’il avait fondé et dont il était à la fin le seul membre original - I was tired. Totally burnt out - Il se sentait devenu un has-been cult band singer - I became a parody of myself. As simple as that - Et pour lui remonter le moral, Mills lui demande quels sont ses meilleurs souvenirs collaboratifs. Il dit avoir adoré travailler avec Mark Lindsay des Raiders et Sal Valentino des Beau Brummels. Par contre, la collaboration avec Johnny Thunders fut la plus problématique.

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    En 2012, Greg Prevost décide d’enregistrer un album solo, Mississippi Murderer. On le voit dans le bac de Born Bad et on se dit oh la la, quelle merde ça doit être. Mais on le ramasse quand même. C’est vrai que la pochette n’inspire pas confiance : assis au bord d’un chemin, Prevost gratte un dobro. On s’attend donc à des mauvaises reprises de Robert Johnson. Eh bien pas du tout. Prevost en bouche même un coin avec son heavy boogie inspiré. «Death Rides With The Morning Sun» annonce bien la couleur. Big bass & drums, et hop c’est parti pour un voyage au pays du dark & muddy boogie. Au fil des cuts, Prevost maintient le cap sur un boogie dévastateur et sournois. Il fait du blues de punk avec une sacrée emphase. Bel hommage à Skip James avec «Hard Times Killing Floor Blues» et retour au heavy blues-punk de junk avec «Stoned To Death». Il dépasse toutes les espérances du Cap de Bonne Espérance. Il termine son bal d’A avec une version hargneuse de «Hey Gyp», aussi hargneuse que celle d’Eric Burdon, c’est dire si. Il y va franco de port avec le bah you a Cadillac. Du coup on est conquis lorsqu’on entre en B. Avec «Ain’t Nothing Here To Change My Mind», il retrouve les accents de Jag dans «Midnight Rambler». Et dans «Downstate New Yawk Booze», il gouleye bien son goh too Niew Awk, c’est du mâché de papier mâché punkoïde. Tiens on parlait de Robert Johnson, justement le voilà avec «Ramblin’ On My Mind». Bien vu, Prevost, coups d’harmo à la clé. Ce mec connaît toutes les ficelles de caleçon, ça le rend précieux. Dans «Never Trust The Devil», il dit : «I should have left there a long time ago.» Eh oui, mon vieux, il faut toujours partir avant qu’il ne soit trop tard. Il termine cet album surprenant avec le «John The Revelator» de Blind Willie Johnson, qui est un classique du gospel blues monté sur les questions réponses Who said that/John the Revelator said. Prevost le tape au big heavy boogie down chanté de l’intérieur du menton, John the Revelator said ! Il fait les questions et les réponses tout seul. Fantastique artiste !

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    Du coup, on s’est jeté sur son deuxième album solo, Universal Vagrant. Même principe : Prevost pose sur la pochette avec sa coiffure de mèches multicolores à la Todd et une Telecaster. Il ramène aussi la fine équipe du premier album solo, Alex Patrick on bass et Zachary Koch on drums. Il ressort son swagger à la Jag dès «Moanin’ The Blues». On se croirait une fois encore sur Exile. Cet incroyable putschiste prend le pouvoir avec «Gin-Soaked Time Warp» et se montre encore plus royaliste que le roi de la Stonesy. De toute évidence, il a appris son métier de shouter en écoutant l’early Jag. Il montre les même tendances à la voyoucratie. Il passe ensuite à un autre roi, le roi Arthur, avec une stupéfiante reprise de «Signed DC». Dès le premier accord, on sait qu’on entre chez Arthur Lee. Ce démon de Prevost en fait une mouture bien lugubre. Il se tape même le solo d’harmo. Il revient au heavy gospel blues avec «Evil On My Mind» et rend hommage à Muddy avec «Mean Red Spider». Il restitue le power de Muddy de toutes ses forces. La B est hélas un peu plus faible. Prevost la sauve avec «Hayseed Riot», un boogie-rock de type seventies bardé de hargne et de below the belt. Il termine avec le vieux classique de Buffy, «Codine» que prisait aussi Jim Dickinson.

    La bonne nouvelle c’est qu’il annonce à Mills avoir enregistré un troisième album solo avec Mick Patrick. Ça sortira quand ça sortira, une fois dit-il que la poussière sera retombée sur la terre.

    Signé : Cazengler, Greg Pré-Veau

    Chesterfield Kings. Here Are The Chesterfield Kings. Mirror Records Inc. 1982

    Chesterfield Kings. Stop! Mirror Records Inc. 1985

    Chesterfield Kings. Don’t Open Til Doomsday. Mirror Records Inc. 1987

    Chesterfield Kings. The Berlin Wall Of Sound. Mirror Records Inc. 1990

    Chesterfield Kings. Drunk On Muddy Water. Mirror Records Inc. 1990

    Paisley Zipper Band. Long Ago Far Away. Trident 1990

    Chesterfield Kings. Let’s Go Get Stoned. Mirror Records Inc. 1994

    Chesterfield Kings. Surfin’ Rampage. Mirror Records Inc. 1997

    Chesterfield Kings. Where The Action Is. Sundazed Records 1999

    Chesterfield Kings. The Mindbinding Sounds Of… Sundazed Records 2003

    Chesterfield Kings. Psychedelic Sunrise. Wicked Cool Records 2007

    Chesterfield Kings. Live Onstage If You Want It. Wicked Cool Records 2009

    Greg Prevost. Mississippi Murderer. Mean Disposition 2012

    Greg Prevost. Universal Vagrant. Mean Disposition 2016

    Jon Mojo Mills : In the past. Shindig # 104 - June 2020

     

    ROCKABILLY GENERATION n° 17

    AVRIL / MAI / JUIN 2021

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    Imperturbable ! Plus de concert depuis un an, trois confinements coup sur coup, et Rockabilly Generation News tient le coup ! Rien de plus opiniâtre que des rockers qui ont le rockab chevillé au corps. Le lectorat se développe, non Nicolas le rockab n'est pas mort. D'ailleurs on plonge illicrock page 8, ils sont beaux et ils sont jeunes, ils s'appellent The Evil Teds, ils n'ont pas pas dépassé la vingtaine et sont en train de concrockter un album. Les photos de Sergio Kash sont superbes ( comme toujours ) ce qui ne l'empêche pas de poser la question qui inquiète. Quel futur pour le rockabilly. N'ont-ils pas l'impression d'être différents de leur génération, si bien sûr, disent-ils mais ils assument, revendiquent ce qu'ils sont, des Teds porteurs d'une culture dont les racines ont pris naissance voici près de quatre-vingts ans dans le tuf fertile des USA, même si le britannique Crazy Cavan est pour beaucoup dans le déclenchement de leur passion rockabillyenne.

    Deux figures historiques du rockabilly au sommaire du numéro, la première Carl Mann liée à sa disparition à la toute fin de l'année 2020, la deuxième était prévue, cette dix-septième parution devait être un hommage à l'un des tous derniers survivants des Pionniers, Gene Summers, dans la rédaction de Rockabilly News l'on était heureux de savoir que Gene en personne pourrait tenir entre ses mains ce magazine en grande partie consacré à son parcours, la camarde ne l'a pas voulu, voici à peine plus d'un mois Gene est passé de l'autre côté... Parfois comme disait Milosz, il se fait tard dans le jour du monde.

    Gene Summers fit partie de ces pionniers que la vague européenne rockabilly a sorti de l'oubli, poussons notre crockcorico, les fan-clubs français regroupés autour de confidentielles revues et le label Big Beat Records cornaqué par Jacky Records ne sont pas étrangers à cette renaissance. Jacky l'accompagna sur scène et nous livre ici une interview inédite datant de 2020, de même que dans les propos recueillis par son fils Shawn, Gene se montre tel qu'il était, un homme simple qui a consacré une grande partie de sa vie à cette musique qu'il a aidée à naître et à conserver vivante. Un homme jette un regard sur sa vie et l'on sent qu'il en éprouve sans aucune ostentation une grande et tranquille fierté. Lui qui était un lointain cousin d'Elvis a beaucoup côtoyé Carl Perkins. Difficile de trouver mieux parmi une liste de connaissances. Il a fait le job, comme aiment à dire les ricains.

    Le dernier fils du soleil nous a quittés. L'expression ne désigne pas un ultime guerrier apache, mais Carl Mann, le dernier des pionniers enregistré par Sam Phillips sur le mythique label Sun. Greg Cattez nous présente le personnage avec brio, m'a même donné envie d'aller le réécouter, moi qui n'ai jamais supporté ( je dois être le seul dans ce cas ) le timbre de sa voix ! Lire en parallèle les carrières de Carl Mann et de Gene Summers est instructif, deux hommes de la même génération qui découvrent la musique de la même manière, grâce à la radio et la célèbre émission Le Grand Ole Opry, cela donne l'impression que tous les adolescents de l'époque qui restaient accrochés aux retransmissions en direct sont par la suite devenus chanteurs... Et puis l'influence d'Elvis alors qu'il n'est encore qu'une vedette régionale... enfin j'ai retrouvé un point commun avec ma modeste personne, tous deux sont des fans de Lefty Frizzel ! Carl Mann qui a raccroché la guitare sera redécouvert lui aussi grâce à l'Europe...

    Déjà vous êtes heureux, les yeux remplis de documents photographiques rares, cette belle légende racontée à plusieurs voix, vous êtes repus, vous ne demandez plus rien, il vous reste encore le meilleur à lire, Gilles Vignal, cet homme a un CV rock long comme quatre cous de girafes, un activiste rock, il a accompagné Gene Vincent lors de sa tournée française en 1967 – notons que l'on ne se battait guère à l'époque pour cet honneur - c'est donc son groupe le Rock'n'roll Gang qui se chargera de cette mission insigne. Le Rock 'n' Roll Gang reprendra du service au début des années 80, la renaissance rockabilly obligeant... les amateurs de rock 'n' roll doivent une fière chandelle à Gilles Vignal, un chercheur infatigable, un passeur de mémoire vive, toujours présent, Gilles n'a jamais arrêté de jouer, de chanter, d'écrire, de rédiger des revues, de tenir des blogues, toujours prêt à prêter main-forte... Total respect pour cet homme serein et modeste qui pense avoir été seulement le jouet de chanceuses circonstances hasardeuses alors que la foudre méritoire du rock'n'roll ne tombe pas sur n'importe qui.

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois), 4,70 Euros + 3,88 de frais de port soit 9,20 E pour 1 numéro. Abonnement 4 numéros : 36, 08 Euros ( Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents.

     

    ERIC BURDON AND THE ANIMALS / 1968 ( II )

     

    Les temps ont changé. Pas de beaucoup, juste quelques mois. Pas dans le sens souhaité. Le rêve hippie s'est volatilisé. L'ère de la désillusion commence. Eric Burdon n'abandonne pas la lutte, il effectue un repli stratégique sur sa terre d'élection, le blues. Et l'autre, celle de son origine sociale. Ne prêche pas la nécessité de la révolution armée mais n'oublie pas d'où il sort, simple question de conscience de classe. Il vient d'Angleterre, il n'a jamais été dupe, mais maintenant il est en Amérique, son amour du blues de petit gars de Newcastle Upon-Tyne a pris une grande baffe dans la gueule, de l'idéal, du virtuel, de la sympathie sentimentale qu'il a éprouvés envers le peuple du blues, instinctivement subjugué par l'énergie vitale de ses disques d'adolescent, il est confronté à la réalité de ce qui se cache derrière des mots si simples, Every day I have the blues, rien à voir avec le spleen poétique de Baudelaire, ni avec les fumeuses rêveries des enfants gâtés de la petite-bourgeoisie blanche... Chanter le blues pour eux reviendrait à donner de la confiture aux petits cochons roses. Every one of us, chacun de nous, n'est pas un titre à portée universaliste, nous ne sommes pas tous frères, il y a les uns, et il y a les autres. La pochette est sans appel, nos Animals avec leurs casquettes de prolo sur la tête ou leurs gueules d'intellectuels anarcho-marxistes revendiquent leur camp.

    EVERY ONE OF US

    ERIC BURDON AND THE ANIMALS

    Eric Burdon : vocal / John Weider : guitar, violin, celesta / Vic Briggs : guitar / Danny McCulloch : bass, vocal, 12 string-guitar / Barry Jenkins : drums / Zoot Money : org hammond, vocal, piano .

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    White houses : musique douce, paroles amères, rythme de menuet – Steppenwolf adoptera une même stratégie sur Monster – ici on ne tue pas les indiens, on laisse crever les déshérités dans les bouges - l'on croit lire l'enquête de Jack London sur les slums londoniens, de temps en temps Burdon agite le scalp d'un vocal viscéral, les guitares perforent plus fort un solo de colère rentrée puis tout se calme dans l'engluement de la misère... Un des titres les plus forts des Animals qui passera par chez nous à peu près inaperçu, le disque étant réservé au marché américain. Une espèce de ballade country blues psyché, avec des paroles que l'on ne rencontre jamais aussi crûment, aussi politiques dans le blues des origines. Uppers and downers : vingt-quatre secondes, difficile de faire plus court, l'on frôle l'insignifiance, surtout si l'on écoute les paroles, l'on est en plein nursery rhyme, les anglais raffolent de ces comptines enfantines qui flirtent avec le non-sens, de parfaits exemples de cet esprit britannique cher à Lewis Carroll, ne soyez pas sévères avec ces enfantillages, Stéphane Mallarmé les adorait, il a été retrouvé dans les papiers du poëte un manuscrit de ses propres traductions prêt à être imprimé... Les paroles sont d'une évidence qui flirte avec l'idiotie, l'idée de base est très simple : si vous êtes en haut de la colline vous êtes en haut, si vous êtes en bas vous êtes en bas, si vous êtes au milieu de la pente, vous n'êtes ni en bas ni en haut. Pour énoncer de telles lapalissades pourquoi Burdon prend-il sa grosse voix de baryton d'opéra et pourquoi derrière lui les musiciens font-ils monter la soupe crescendo à la vitesse du lait sur le feu qui déborde. Facile de trouver le sens symbolique si vous l'écoutez à la lumière de ce qui précède ( c'est suffisant ) et de ce qui suit ( confirmation absolue ), vous occupez une place dans la société vous êtes condamnés à y rester, que vous soyez tout en haut ou tout en bas. Dans ce dernier cas, n'espérez aucune amélioration, les pauvres restent pauvres et les puissants sont toujours installés au sommet... Déterminisme social... Serenade to a sweet lady : que voulez-vous dire de plus après les deux bilans précédents, le premier poignant, le deuxième empruntant au grotesque ? Rien à rajouter. Ce troisième morceau sera donc strictement instrumental. L'on ne s'y attend pas mais nous changeons de continent musical, nous voici au Brésil en pleine bossa nova, Weider a composé le morceau, Danny McCulloch vous tire de ces lignes de basse à faire agoniser de désespoir un cachalot, nous sommes loin de l'exubérance du carnaval de Rio Janeiro, plus près de la tristesse des favelas, l'on ne sait pas où cet album va nous mener, l'on comprend que le chemin que nous empruntons s'infléchit étrangement et pas une seconde nous vient à l'idée de rebrousser chemin. Quant à la sweet lady, z'aurez besoin d'une imagination débordante pour l'apercevoir, les rêves ne meurent jamais mais ne se laissent pas attraper. The immigrant lad : l'on était à l'autre bout du monde, retour à la case départ, Newcastle upon-Tyne, une ballade dans le style de celles qui ont traversé l'Atlantique et ont servi de moule pour les premiers blues au siècle précédent, douze cordes dans la série qu'elle était verte ma vallée, comment quitter ce pays noir qui grouille de houille, rivière infranchissable, la vraie vie de l'autre côté, la jolie fille aussi, cris de mouettes, silence, plus de musique, bruits de tasses et de verres, le jeune immigrant n'a pas traversé l'Océan, son rêve n'était pas si éloigné, du boulot pour un peu d'argent sur les quais de Londres, conversation dans une taverne, ce n'est pas pour s'embarquer pour l'île au trésor, un jeune cockney ne lui cache pas qu'il est difficile de vivre pour un déraciné dans la capitale... surprise, davantage que du spoken words, quasi un documentaire pris sur le vif dont aurait coupé l'image, la véritable musique du prolétariat n'est-ce pas dans la voix des déshérités qu'elle se fait entendre... on est en Angleterre mais aussi un peu dans un livre de Steinbeck ou de Dos Passos, ou un film d'Elia Kazan... la voix de Burdon sourde et chargée de nostalgie est fabuleuse. Year of the guru : carrément électrique, Burdon débite ses couplets à la manière d'un rappeur, c'est ce qui s'appelle avoir de l'avance sur l'évolution, un rythme implacable, un pauvre gars, un gros naïf malmené par son chef, l'adjudant se joue de lui, finira dans un asile de fous – n'est pas le seul à le devenir, le piano de Zoot Money ricane comme un onagre pris dans une nuit d'orage, les guitares enflent et débordent en rivières en rut, dans son délire le fou est devenu le maître du monde, il a tout compris, tout lu, tout vécu, le rythme se précipite, la voix de Burdon se transforme, s'emplit de résonances africaines, devient habitée par une transe, une possession shamanique de quelque chose de primordial, de primal, qui vient du plus profond des âges premiers, une communication avec la terre noire mère des hommes. L'on ne peut s'empêcher de penser au rappeur Keith Elam qui changera son nom en Guru acronyme de Gifted Unlimited Rhymes Universal... La négritude travaille ce chanteur blanc de blues qu'est Eric Burdon. Morceau diabolique, morceau vaudou, morceau totémique...

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    St James Infirmary : retour au blues en ouverture de la face B, et pas n'importe lequel, en quelque sorte le frère jumeau quant à son historiographie et sa célébrité à The House of the Rising Sun. Mais ici Alan Price ne bouche pas le paysage avec la grandiloquence de son orgue, Eric Burdon et ses Animaux n'ont pas choisi le pachyderme qui encombre l'écran, ont préféré la silhouette spartiate de la panthère noire qui se déplace sans se faire remarquer. Sombre, très sombre, lourd très lourd, nudité assumée, simplement rehaussée de courts appels à Dieu dans la pure tradition des chœurs interjectifs et funèbres du gospel, n'a pas choisi les paroles les plus directes le plus souvent employées, ce n'est pas le conteur qui raconte le terrible récit mais son ami le vieux Joe, ce qui introduit un effet de distanciation des plus glaçants, et permet en un deuxième temps l'explosion d'un paroxysme passionnel, ces hurlements de douleurs tellement insupportables, qu'ils sont suivis d'un court balancement jazzy du genre vaut mieux passer l'éponge sur le drame... version sublimissime. New-York 1963 – America 1968 : le grand-œuvre, l'aboutissement de l'album, mille chemins ouverts, tous les thèmes abordés précédemment sont repris en un long opéra de près de vingt minutes. Un rythme lent et lourd en accord avec la tonalité de l'album, les flots majestueux du Mississippi, je sais il ne coule pas à New York mais la big Aple est colonisée par son delta, l'immigrant y rencontre l'âme et la chair du peuple noir, il tombe en admiration de cette manière d'accaparer l'aisance d'être et de se poser dans la beauté du monde, des chœurs tout de suite en entrée, pas les fanfares ironiquement éclatantes de Sky Pilot, mais des bribes de ferveur contenues qui s'harmonisent avec le lent déroulement du serpent vocal burdonien qui déroule ses anneaux et rampe sans se presser sur le sol, Burdon chante – l'on aurait envie d'écrire parle mais la ligne mélodique nous l'interdit – il y a de tout dans ces paroles, l'émerveillement enthousiaste qu'exhalent Les feuillets d'herbes de Walt Whitman et des bouts de réalités américaines inquiétantes sur lesquelles on ferme les yeux. Mais pas les oreilles. Scènes de la vie quotidienne des noirs. L'on a changé de registre, la musique a disparu, conversations enregistrées, la vie des noirs sans cesse rejetés, qui ne peuvent vivre et s'entraider en paix, que l'on laisse crever au bord de la route, et personne qui ne veut voir, il faudra bien un jour que ça change, deuxième mouvement de l'opéra de quat' cents, on a enlevé la musique pour que vous compreniez mieux, plus de trois minutes, les noirs prennent la parole pour la garder, nous sommes en plein mouvements civiques, le chant reprend, une supplique basse murmurée à la terre, toute simple, vouloir être libre et le tambour de Jenkins prend de l'ampleur, des voix se confondent, ceux qui ont l'espoir et ceux qui n'y croient pas, la rage prend le dessus, peu à peu, elle devient incoercible, l'on verse dans une espèce de spoken gospel, et la rythmique commence à charrier les eaux boueuses de la colère, le funk s'insinue et presse le mouvement, ondées et vrilles d'orgue de Zoot Money, cris dans le lointain qui se confondent avec des sirènes de voitures de polices, salmigondis sonores, surnage le mot de revendication primaire hurlé maintenant à pleine voix, freedom, la belle chose, la bonne chose, la chose droite, si tu ne te bats pas tu ne seras jamais libre.

    C'est en mai 1968 que The Last Poets font leur première apparition publique pour commémorer la mort de Malcolm X, Every one of us est enregistré en juin, Eric Burdon est emporté par un mouvement de révolte collective beaucoup plus grande que sa petite personne, parfois l'Histoire se saisit de vous, et vous incorpore en son tourbillon, Every one of us paraît en août, Briggs et McCulloch ont déserté la mâture en juillet, c'est le chant du cygne noir des Animals, il reste encore un disque à paraître en décembre, voir ci-dessous, mais Every One of Us est à écouter comme une étape importante du blues, il clôt un cycle commencé dans le Delta, un enregistrement prodigieux qui interroge et surprend. Ce que les Doors n'ont jamais réussi à concrétiser avec l'enregistrement non retenu de The Rock is dead, parce que le sujet à cette époque ce n'était pas le rock mais le blues, ce que Steppenwolf n'a pas su magnifier car déjà engagé dans un des nouveaux avatars du blues : le hard rock.

     

    LOVE IS...

    ERIC BURDON AND THE ANIMALS

    Eric Burdon : vocal / Zoot Money : bass, backing vocals, spoken words, organ, piano / Andy Summers : guitar, backing vocals / John Weider : guitar, violin, backing vocals / Barry Jenkins : drums, percussion, backing vocals / Robert Wyatt : backing vocals.

    Quel titre ! Après Every One of Us l'on s'attendait à tous sauf à une titulature turlututu  si cucul la praline ! Quelle régression conceptuelle ! Mais surtout quelle horrible pochette, la couve la plus kitch de toutes les sixties. Devait être sous je ne sais quel produit le Burdon pour avoir laissé passer cette ignominie, ou alors devait s'en foutre ! Pour les Animals les haricots rose bonbon étaient cuits depuis longtemps. Un double album de reprise qui sent le remplissage à plein nez, rien qu'à ouvrir le gatefold vous sentez que ça se gâte, quel mauvais goût surtout ne transmettez pas mes félicitations à l'auteur de cette horreur un certain Mitchel Brisker, à notre connaissance il n'a réalisé que quatre couvertures de disques, sans une once d'originalité, mais le sort s'acharne sur nous, celle-ci est de très loin la pire...

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    River deep, mountain high : Burdon n'a peur de rien, n'a-t-il pas osé voici à peine deux ans porter la main dans le saint des saint du rock'n'roll, touché à l'intouchable, et produire une cover au Paint It Black ( horreur et sacrilège ! ) des Rolling Stones, offrant une relecture du morceau qui équivalait à une re-création. Pour ouvrir Love is... il tape encore plus haut, ni plus ni moins que le wall of sound, le fameux mur du son de Phil Spector, et pire que tout rivaliser avec Tina Turner – les Stones apprirent d'elle tout ce qu'ils avaient cru comprendre du rhythm 'n' blues - c'est-là le genre de défi que le petit blanc de Newcastle aimait à se donner... impossible de rivaliser avec le torrent de Tina Turner qui déboule sur vous avec la force sauvage des flots de Poseidon emportant comme des fétus de paille les épais remparts de la mythique cité d'Atlantis, donc le Burdon et ses Animals font exactement le contraire, n'abattent pas les murailles, les construisent brique par brique, évidemment ça prend plus de temps, doublent le timing, et ils s'y mettent tous, décomposent les mouvements, chacun aura droit à son petit quart d'heure de gloire, même qu'au beau milieu le solo de Zoot à l'orgue un tantinet trop trop long nous fait dire zut, oui mais ça reprend du genre le sprinter aux JO qui s'arrête pour fumer sa clope, et qui repart pour passer en premier la ligne d'arrivée, mettent du cœur à l'ouvrage et le Burdon il vous écrase et crisse sa voix encore pire que Tina, du coup l'on a droit à des chœurs féminins qui surgissent là-dedans comme les commissaires de police venaient vérifier les adultères au début du siècle précédent, et tout le monde se met à miauler car il faut bien faire quelque chose et ils le font bien, bilan, loin d'être ridicules ont même rendu hommage à Tina au milieu du capharnaüm, certes ils n'ont pas le mur, mais ils ont le son, total z'ont élevé une tour phonique qui bouche l'horizon. I'm an animal : si le titre précédent était en quelque sorte un pari incontournable pour Eric Burdon le choix de celui-ci est lourd de signifiance quant à la suite de la carrière du très bientôt futur ancien chanteur des Animals, le titre est de Sylvester Stewart beaucoup plus connu par le diminutif de son prénom Sly auquel il faut ajouter le reste de la famille and The Stone Family... Sly and the Stone Family premier groupe d'envergure nationale muti-racial, précisons ( blancs et noirs ) genre de mélange qui n'était pas très apprécié aux States de l'époque... I'm an Animal est un extrait de Life le troisième album du groupe sorti en juillet 1968, sans doute vaut-il mieux s'attarder sur le titre du premier sorti en 1967 The whole new thing, cette totale nouvelle chose désigne certes une exigence de révolution ( a minima des mentalités ) à venir mais est aussi à comprendre en tant que volonté musicale de s'ancrer dans la musique noire – la New Thing est aussi l'autre nom du Free Jazz – dans l'idée d'un renouvellement, d'une fusion qui engloberait blues, jazz, rhythm 'n' blues et rock 'n'roll, le blanc et le noir, non pour tout égaliser en un gris uniformisateur mais de déboucher dans un éclatement de couleurs funkadéliques... Bon la petite Rosie de la famille Stone, une véritable petite chatte qui joue avec ses chatons sur le canapé, c'est mignon tout plein, vous auriez envie de la cajoler, mais le Burdon, question animal il en connaît un animax, faut pas le lui refaire, garde la bande son à l'identique, mais c'est vraiment le matou sauvage et vicieux qui compte aider à la multiplication de l'espèce féline, saute sur la chatoune et vous l'enfourne sans ménagement. Lui enfile au moins douze bâtards dans le pertuis. Dommage que question musique ils se soient contentés de recopier l'arrangement initial. I'm dying ( Or am I !?) : de Burdon, nous fait part de ses états d'âme, ce n'est pas le To be or not to be de Shakespeare, monologue un peu encombré par des chœurs – une fois féminin, une fois masculin – l'on ne sait pas trop où en est, une espèce de ballade country psyché ( ou psychosée ? ), grands effets de manches vocaux, un orgue qui vous marche sur les pieds, pas vraiment le pied. Qui trop étreint mal embrasse. Vous passez vite à la suivante. Ce qu'il y a de meilleur dans ce morceau c'est le titre. ( Fin de la face A ). Ring of fire : choking l'on quitte le blues pour le country le plus pur, le morceau fut créé  en 1962 par Anita Carter la fille de Mother Maybelle Carter, sans surprise puisqu'il était co-signé par sa sœur June Carter destinée à devenir l'épouse de Johnny Cash qui lui-même l'enregistra peu après la même année. Le deuxième co-auteur de Ring of fire n'est autre qu'un cousin éloigné de June – les dynasties country sont un tout-petit monde – Merle Kilgore, une sommité officielle de la country music, qui à quatorze ans côtoyait déjà Hank Williams. L'on peut s'amuser à traduire Ring of fire par les feux de l'amour, mais pour Merle Kilgore, l'expression ring of fire désignait très précisément la sensation que lui procurait la pénétration d'un sexe féminin. Faites un tour autour de la petite Anita, sa version n'est pas mauvaise, même si l'interprétation de Johnny Cash l'a éclipsée, le Burdon c'est un malin, il vous accentue le ralenti que Cash avait imposé, l'a jeté les trompettes et les mariachis, vise sur l'authenticité, vous prend une voix d'agonisant, et les chœurs imitent les grandes orgues de votre messe d'enterrement, la guitare s'étire lentement comme si on lui tirait les tripes centimètre par centimètre hors de sa caisse. Le Burdon, il vous fait la totale grand spectacle, l'anneau, le feu et les cendres. Que voulez-vous de plus ? Rien, alors vous le remettez, dans l'urne vous votez pour Burdon. Coloured rain : Burdon l'a trouvé sur l'album de Mister Fantasy de Traffic paru en décembre 1967, l'on comprend ce qui l'a attiré dans cette gentillette déclaration d'amourette, la prédominance de l'orgue, la dérive psyché qui ressemble ( en moins beaucoup moins fort ) à certains titres de Winds of change, le Burdon vous bouffe le morceau et tous les autres ne se privent pas pour l'imiter, à plein gosier, à pleines cordes, à pleines touches, la version Traffic ne fait pas le poids, une estafette de hippies qui n'osent pas conduire trop vite parce qu'ils se sont partagés un pétard à douze, le Burdon conduit un trucker chargé de quatre-vingt vaches destinées à l'abattoir, l'a avalé à lui tout seul douze boites d'amphétamines et il fonce sur la highway en dessinant des courbes sur la chaussée. ( Fin de la face B ).

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    To love somebody : le Cat Zengler va lever les yeux au ciel de commisération, tiens je ne me souvenais pas que les Animals avaient repris Somebody to love du Jefferson Airplane, comme ce n'était pas l'air j'ai relu avec mes lunettes, ah non, c'est le To love somebody des Bee Gees, ce n'est peut-être pas mieux, sur la vidéo, ils ont vraiment l'air nunuche les frères Gibbs, des épouvantails déguisés en hippie, le Burdon il vous prend le vocal à la pince à épiler, heureusement qu'il fronce les cordes vocales sur les refrains, mais dès qu'une voix féminine vient le soutenir, il se fait tout doux comme un agneau qui vient d'apercevoir la Sainte Vierge ( l'autre nom de l'enceinte vierge ), certes c'est bien enlevé vous avez envie de faire le joli chœur à ses côtés, rien d'essentiel. As the years go passing by : incroyable mais vrai, retour au blues, un standard créé par Fenton Robinson, voix feutrée et guitare un peu à la J. J. Cale, Zoot Money au piano, même tempo, Burdon commence en spoken words, dès qu'il chante Weider poinçonne sa guitare, et c'est parti pour dix minutes de dérive, le piano qui insiste en sourdine, la guitare qui crie, Burdon qui hausse le ton et puis qui laisse la bride aux instruments, Burdon prend le mors au dent, et tout se calme comme s'il était en train de mourir... ( Fin de la face C ). Gemini + The Madman : l'on est à mi-chemin entre Animals et Dantalian's Chariot l'ancien groupe dissous de Zoot Money et Andy Summers, groupe psychédélic qui sonne très british, et la réunion des deux ressemble à un délayage des Beatles, Burdon prenant soin de ne pas écraser la voix de Zoot Money, un long passage d'effets psychédéliques dû à l'orgue de Zoot Money, un peu daté aujourd'hui, sur lequel vient se brancher un peu de spoken words qui se transforme en duo Money / Burdon qui met du temps à démarrer retardé par l'orgue qui imite le décollage d'une fusée interplanétaire, gémini parce que le yin et le yang ne forment qu'un... et l'on bascule sans préavis sur The Madman qui est en train de courir dans les champs, on suppose tout nu et sous acide... la musique sautille allègrement, nous un peu moins. Sonorité diverses finales. Pas très convaincant.

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    Cet album est une impasse, ce n'est pas qu'il soit mauvais, trop disparate, tire sur la corde des morceaux, mais Burdon fait du Burdon, il tourne en rond, trois disques en une année vous empêchent de vous renouveler. Le groupe se sépare. Ne pleurons pas, il n'avait plus grand chose à dire. Et puis Burdon a encore pas mal de colère à sortir de son gosier.

    Damie Chad.

     

    XXVII

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

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    109

    Après les émotions de l'après-midi, Vince nous avait invités chez lui pour nous restaurer. Molossa et Molossito avaient chacun eu droit à un énorme os à moelle auxquels ils s'attaquèrent sans rémission. Trois heures plus tard il n'en restait plus trace et les chiens repus dormaient sous la table. De notre côté nous avions fait honneur au repas concocté par un traiteur, le meilleur de Nice avait déclaré Vince en décrochant son téléphone, nous avions été particulièrement bien soignés mais à peine la dernière bouchée les filles débarrassèrent avec une promptitude inaccoutumées assiettes sales et couverts, pressées par la déclaration du Chef devant le hangar aiguillonné.

      • Servons-nous le café ? interrogea Brunette

      • Bien sûr, mais nous le boirons sans sucre !

    Ce qui aurait pu passer pour un observateur entré par hasard dans la pièce pour la déclaration d'un simple préférence gustative électrisa l'ambiance. Tout le monde avait compris, ce coup-ci nous nous apprêtions à porter l'assaut au cœur même de la citadelle du mystère, nous nous apprêtions à résoudre l'énigme la plus noire.

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      • Vous m'excuserez damoiselles, le Chef examina longuement du regard Charlotte, Charlène et Brunette, si j'allume un Coronado c'est uniquement pour marquer la solennité de cet instant et vous permettre durant les trente secondes que durera cette opération de monopoliser toutes vos facultés intellectuelles, nous avons en effet besoin de toute la sagacité féminine qui nous manque à nous pauvres hommes de main davantage rompus au maniement des armes qu'aux subtilités mathématiques. ( Il est indéniable que le Chef savait parler à la gent femelle ). Vince auriez-vous par hasard dans un buffet une de ces boîtes à sucre en fer blanc dont s'honore la meilleure part des familles de France.

    Lorsque Vince la déposa brutalement sur la table, la tension était si forte que tout le monde sursauta. Molossa eut la réaction la plus vive, elle aboya vivement, sauta sur mes genoux et renifla vivement l'objet, mais apercevant le dessin des deux jolis chatons tout mignons qui décoraient le couvercle, elle poussa un hautain soupir de commisération et retourna se coucher près de Molossito.

      • Agent Chad, nous feriez-vous le plaisir de recommencer votre démonstration.

    111

    Je m'exécutai aussitôt, j'ouvris la boîte que je repoussai sur le côté et commençai mon boniment dès que j'eus extrait le paquet de sucre et déchiré le haut de l'emballage qui lui servait de couvercle :

      • Comme vous pouvez le constater, voici quatre rangées supérieures, chacune est constituée de

      • Quatorze sucres, me coupa Charlène

      • Ce qui fait pour ces quatre rangées cinquante-six sucres, ajouta Charlotte

      • Or il y a trois étages, nous avons donc

      • cent soixante-huit sucres, annonça fièrement Brunette

      • Justement c'est-là où le mystère se corse comme l'on dit à Ajaccio, voici le cent-soixante neuvième sucre, je le sortis de ma poche, nous l'avons trouvé dans la fameuse villa des Réplicants, ils ne l'avaient certainement pas laissé là au hasard, pourquoi ce cent-soixante neuvième élément quand la boîte ne peut en contenir que cent soixante huit !

    A notre grande surprise les filles pouffèrent de rire :

      • Quoi c'est tout ce qui vous pose problème !

      • C'est enfantin !

      • C'est évident !

      • Je vais vous expliquer !

      • Non, pas toi, moi !

    Elles se chamaillèrent un moment, comme elle ne pouvaient se départager elles décidèrent de plouffer. Le Chef profita des tricheries et des récrimination qui s'ensuivirent pour venir à bout de deux Coronado. Après d'intenses pourparlers le sort désigna Brunette.

      • Très simple, le cent soixante neuvième sucre n'est pas un sucre – nous devions faire des mines ahuries, notre surprise déclencha un fou-rire général – je vous rassure c'est un sucre mais il désigne tous les autres sucres, en fait il est-là pour symboliser l'emballage !

      • Nous sommes allés chez la mère d'Eddie Crescendo, nous avons passé en revue sa collection de plusieurs centaines de boites à sucres et je peux affirmer que nous n'avons rien vu d'étonnant, ces boîtes à sucre sont parfaitement innocentes s'écria Vince !

      • Comme les hommes sont idiots - s'exclamèrent-elles toutes les trois à l'unisson – nous ne parlons pas des boîtes en fer mais des emballages en carton ! C'est-là qu'il faut chercher !

    Nous étions stupéfaits, le Chef fut le premier à réagir :

      • Agent Chad, réveillez les cabots et sortez la voiture du garage, nous partons chez la mère d'Eddie Crescendo !

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    Nous nous garâmes dans une rue adjacente. La nuit était tombée. Aux alentours toutes les contrevents étaient fermés. Vince menait la marche. Il s'apprêtait à tourner à droite pour emprunter une mince ruelle mais Molossa se campa devant lui et grogna. Je la caressai mais à ses mimiques je compris qu'elle ne voulait pas que nous empruntions ce chemin.

      • Pas grave, murmura Vince, on revient sur nos pas, et on prend la prochaine à droite, c'est à peu près du pareil au même !

      • Pas d'accord lui répondit le Chef, il est pratiquement deux heures du matin, mettons-nous à la place de la mère d'Eddie Cresendo, six individus qui débarquent chez elle, c'est beaucoup, les filles elle vous ouvrira plus facilement, la première à droite, ensuite c'est au numéro 67. Quant à nous nous allons emprunter cette sente que Molossa nous interdit, les filles emmenez Molossa avec nous, j'ai récupéré quelques pétoires dans le vide-poche de la voiture, Vince est toujours prudent ! Exécution immédiate !

      • Ouah ! Ouah !

    C'était un minuscule jappement, Molossito ne tenait pas à compter pour du beurre, d'un signe de main je lui fis signe de nous précéder. Il entra dans la ruelle tout guilleret la queue dressée toute droite comme un paratonnerre. Il fila tout droit sans nous attendre. Apparemment il n'était pas du même avis que Molossa. Je le rappelais à voix basse, mais il ne revint pas, il se contenta de s'arrêter brusquement, le nez à terre. Nous le rejoignîmes, il ne bougea pas, je me penchais, sa truffe était collée sur un minuscule objet blanc. Je le ramassais. Un morceau de sucre !

    Déjà Molossito repartait en courant, une quinzaine de mètres plus loin il posa son museau sur un deuxième morceau de sucre, nous suivîmes la piste sucrière à toute allure, Molossito dénicha à intervalles irréguliers une trentaine de sucres, nous atteignîmes la maison de la mère de Crescendo en même temps que les filles. La porte d'entrée était grand-ouverte, nous n'eûmes pas besoin de pousser nos investigations bien loin, dans l'entrée la mère de Crescendo gisait à même le sol dans une mare de sang.

    ( A suivre... )

  • CHRONIQUES DE POURPRE 498 : KR'TNT ! 498 : BOB DYLAN / SUPREMES / CÖRRUPT / ANASAZI / ANIMALS / ROCKAMBOLESQUES XX

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 498

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    18 / 02 / 2021

     

    BOB DYLAN / SUPREMES

    CÖRRUPT / ANASAZI / ANIMALS 

    ROCKAMBOLESQUES 21

     

    Ce numéro 498 arrive avec deux jours d'avance.

    Le numéro 499 aura deux jours de retard.

    Si ce retard devait se prolonger pas d'inquiétude

    nous ne tarderions pas à revenir

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME !

    Dylan en dit long - Part Two

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    Avec Chronicles, Bob Dylan est entré au panthéon des grands auteurs américains. Chronicles tient plus de la littérature que de ce qu’on appelle vulgairement le book rock. Dans le regard que porte Dylan sur son pays et sur les gens qu’il croise passent des éclairs de Steinbeck, de Kerouac et d’Henry Miller. Les pages qu’il consacre à ses voyages en auto-stop ou à ses virées en Harley pourraient très bien se trouver dans On The Road, celles qu’il consacre à la faune des clubs de folk new-yorkais semblent sortir tout droit de Plexus, et certaines pages sont tellement profondément américaines par la musicalité du style qu’elles semblent sortir de The Grapes Of Wrath. Les pages qu’il consacre à la Nouvelle Orleans rivalisent d’intelligence sensorielle avec celles d’Erskine Caldwell et bien sûr, le comparatif le plus direct est celui que Dylan établit avec Richard Hell en arrivant en stop à New York en 1960, pauvre et prêt à tout, surtout à survivre. Hell et Dylan n’ont pas que ça en commun : au goût pour la pauvreté s’ajoute celui de l’indépendance, ce qu’on appelle aussi la liberté à tout crin, le refus total de toute forme de concession, et une passion immodérée pour la littérature et le sexe, un sujet sur lequel Dylan ne s’étend pas, mais qu’Hell explore, comme le fit avant lui Henry Miller. Si Hell baptise son cocktail ‘sex & drugs & rock’n’roll & Maldoror’, Dylan pourrait baptiser le sien ‘folk & blues & Rimbaud’.

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    Un autre parallèle s’impose, cette fois avec Dickinson, qui lui aussi fonctionne en chroniques dans cette merveille intemporelle qu’est I’m Just Dead I’m Not Gone. Comme Dylan, Dickinson moissonne les métaphores et creuse ses sillons dans ces mystères que sont la vie et l’art en général. D’ailleurs Dylan ne s’y trompe pas, lorsqu’il se retrouve seul à la Nouvelle Orleans en 1989 pour enregistrer Oh Mercy : «Plus tard, je pensais à Jim Dickinson. J’aurais bien voulu qu’il soit ici, avec moi. Il était à Memphis. Il a commencé à jouer en même temps que moi, en 57 ou 58, on écoutait les mêmes trucs et il jouait et chantait plutôt bien. Chacun de nous était originaire d’une des deux extrémités du fleuve Mississippi.»

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    Alors bienvenue au paradis. Même s’il se dégage parfois de Chronicles une certaine forme d’austérité, la fierté d’être allé jusqu’au bout fait une excellente consolation. On aura même en prime cette curieuse impression d’être un tout petit peu moins con. Ça va même encore plus loin : on sort de là complètement tétanisé, comme si on sortait d’une première lecture du Gai Savoir. Chronicles fouette le sang. Chronicles met du rouge aux joues. Chronicles fait bander comme un âne. Chronicles se prête à toutes les métaphores, comme une chatte en chaleur. Miaou miaou, c’est moi, Chronicles tu viens mon amour ?

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    J’allais découvrir un monde étrange, un monde strié d’éclairs. Beaucoup de gens ont tenté d’y entrer et n’ont jamais su y rester. J’y suis allé tout droit. C’était grand ouvert. Une chose est sûre, ni Dieu ni le diable n’y faisaient la loi - Voilà comment Dylan finit Chronicles, avec quatre lignes dignes de «Desolation Row». Certaines phrases sont comme chantées. On entend sa voix, comme on entend celle de Lanegan à la lecture de Sing Backwards and Weep, cet autre chef-d’œuvre confessionnal d’une insondable profondeur. Les gens comme Dylan et Lanegan bénéficient d’un gros avantage sur les écrivains : l’avantage d’avoir enregistré des albums devenus aussi classiques que des classiques littéraires. Quand Dylan évoque sa grand-mère, il la chante : «Elle n’était que noblesse et bonté. Elle m’expliqua une fois que le bonheur ne se trouvait pas au bout d’un chemin. Le bonheur, c’était le chemin. Elle me conseilla aussi d’être gentil, car tous les gens que j’allais rencontrer livraient dans leur vie des combats difficiles.» De page en page, il se produit comme un phénomène d’élévation du texte. Dylan intrigue et passionne, tout ce qu’il peut dire de lui se boit comme l’eau claire au sortir du désert. C’est là dans ce principe d’élévation qu’éclot l’idée du rôle capital que joue le rock dans le monde moderne : Dylan donne à ceux qui n’ont rien reçu en héritage de leurs parents des éléments de réflexion, des éléments de valeur. Tiens, cadeau, c’est gratuit. Oh merci Bob ! Alors Dylan, vie spirituelle mode d’emploi ? N’exagérons pas. Il donne juste quelques indications mais en même temps il laisse entendre que chacun doit se débrouiller pour avancer. On part tous quasiment de zéro. Lui a l’avantage de la grand-mère. Il a un peu d’avance. Éclairé par sa grand-mère, il peut affronter la vie plus facilement et comme Hell, se pencher sur les mystères de l’art, car c’est tout ce qui l’intéresse. La vie normale du métro/boulot/dodo ne le concerne pas, il se sent destiné à autre chose, à une vie de chansons et de liberté : «Picasso avait fracturé le monde de l’art et l’avait ouvert en grand. Il était révolutionnaire. Je voulais être comme lui.» C’est déjà en lui. Chronicles ne parle que de ça, du processus de révélation et de ses conséquences.

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    Il articule donc Chronicles autour de deux thèmes principaux : ses débuts dans la scène folk new-yorkaise (influences, rencontres, genèse d’un style), puis les épouvantables conséquences de son succès avec le harcèlement qu’il doit ensuite subir de la part des fans et des médias. À ce niveau de popularité, ça devient un fléau. Les gens veulent le voir à la tête des forces contestataires, mais ça ne l’intéresse pas - On pouvait lire à la une d’un journal : ‘Le porte-parole nie être un porte-parole.’ J’avais l’impression d’être devenu un morceau de viande qu’on jetait aux chiens - Dylan dut quitter sa maison de Woodstock pour mettre sa famille à l’abri des fans qui arrivaient de tous les coins d’Amérique. Il les entendait marcher la nuit sur le toit de sa baraque. Il ne lui restait rien d’autre à faire que de disparaître pour échapper à tous ces pauvres gens. C’est bien que ce soit lui qui le dise. Venant de quelqu’un d’autre, on peinerait à prendre ça pour argent comptant. «J’avais une femme et des enfants que j’aimais plus que tout au monde. Je m’efforçais de prendre soin d’eux et de les protéger, mais les médias voulaient absolument faire de moi le porte-parole et même la conscience d’une génération. C’était tordant. Je m’étais juste contenté de chanter des chansons bien carrées et d’exprimer avec force de nouvelles réalités.» Si Dylan est tellement excédé, c’est surtout parce que les gens n’ont rien compris : «J’en avais assez de la contre-culture. Ça me rendait malade de voir la façon dont on extrapolait les paroles de mes chansons et dont on en détournait le sens pour faire de moi le Big Buddah of Rebellion, le Grand prêtre de la Protestation, le Tsar de la Dissidence, le Duc de la Désobéissance, le Grand Chef des Parasites, le Kaiser de l’Apostasie, l’Archevêque de l’Anarchie, the Big Cheese.» Peut-être voulait-il faire comprendre aux gens que la vraie révolution commence par soi-même et que les vrais changements ne sont pas collectifs mais individuels. Généralement, on appelle ça la prise de conscience. Pas besoin de leader charismatique. Il suffit de capter les messages que diffusent des gens comme Dylan, Gandhi ou Coluche.

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    Avec une sincérité qui nous laisse comme deux ronds de flan, Dylan livre tous les secrets de sa genèse. Il commence par fixer son choix sur le folk : «J’ai choisi le folk pour explorer l’univers. Les chansons de folk contenaient des images et les images avaient plus de valeur que tout le reste. J’avais découvert l’essence du folk. Je pouvais aisément assembler les morceaux.» En même temps, il affiche une méfiance terrible pour le monde réel - Je n’éprouvais aucun intérêt pour ce monde moderne si compliqué. Il n’avait ni poids ni sens à mes yeux. Il n’offrait aucune séduction - Vers la fin du livre, il va même beaucoup plus loin : «Je n’étais pas à l’aise avec tout le psycho polemic babble. Ce n’était pas ma came. Même les actualités me rendaient nerveux. Je préférais les histoires anciennes. Toutes les actualités n’étaient que des mauvaises nouvelles. Je m’arrangeais pour les éviter. Une journée entière d’actualités télévisées était pour moi une image de l’enfer.»

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    Puis il commence à faire travailler sa mémoire, nous expliquant qu’il lit des poèmes de plus en plus longs, s’entraînant à les mémoriser et voir jusqu’où il peut les mémoriser. C’est une gymnastique. Quand il lit le Don Juan de Byron, il se concentre du début à la fin. Il se remplit le cerveau de poèmes intensément longs comme le ferait un comédien. Il dit se sentir transformé en wagon qu’il remplit de plus en plus et donc il doit tirer de plus en plus fort. Ceci explique en partie cette facilité qu’il va montrer un peu tard à interpréter des chansons aux allures de poèmes fleuves. Il dit aussi vouloir comprendre les choses pour pouvoir s’en débarrasser. Il apprend à télescoper les idées, il pousse le jeu de la gymnastique mentale toujours plus loin - Les choses étaient trop grosses pour le regard, comme le serait une bibliothèque, voir tous ces livres d’un seul coup, c’est impossible. Il fallait pourvoir en faire des chapitres ou des couplets de chansons pour en sortir quelque chose de correct - Dylan est obsédé par le contenu, car avant d’être une musique, le folk est un contenu. Il sent parfois qu’il réfléchit trop, alors qu’il n’a pas 20 ans - Dans Par Delà Le Bien et le Mal, Nietzsche dit qu’il se sentait vieux au commencement de sa vie. J’éprouvais la même chose - Serait-ce le prix à payer ? On appelle ça la maturité. Mais il revient inlassablement à l’objet de sa quête : composer des chansons - Une chose est sûre, si je voulais composer des folk songs, je devrais inventer un nouveau modèle, une espèce d’identité philosophique à l’épreuve du temps. Elle devait venir d’elle-même from the outside, de l’extérieur - S’il en parle aussi bien, c’est qu’il sait qu’il va réussir. Le plus miraculeux dans cette histoire, c’est qu’à aucun moment Dylan ne cède à la prétention. Ce qu’il décrit de sa réflexion est à l’image de ses chansons : il y règne une sorte de pureté d’intention, une modestie immanente dont la seule grandiloquence serait le génie mélodique. C’est un phénomène unique dans l’histoire culturelle du monde moderne. Dylan met en gage sa probité intellectuelle, et ce geste n’a pas de prix. Mais il doit continuer de travailler son projet : «Je faisais tout très vite, je pensais, je mangeais, je parlais et je marchais vite. Je chantais même vite. Il fallait que je ralentisse mes chansons si je voulais devenir un auteur-compositeur avec des choses à dire.» Pendant quelques mois, il va vivre à droite et à gauche chez des gens qui l’hébergent. Sa seule richesse est cette foi qu’il a en son avenir : «Elle me versa une tasse de café bouillant et j’allai à la fenêtre. La ville entière se balançait sous mon nez. Je savais précisément où se trouvaient les choses. Je ne craignais pas l’avenir. Il était terriblement proche.»

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    Il dit aussi qu’une chanson, c’est comme un rêve qu’on essaye de rendre vrai. Le soir il chante et joue au Gaslight qui est à l’époque le club le plus réputé de la scène folk new-yorkaise. Un jour, une certaine Terri propose à Dylan de prendre rendez-vous avec Jac Holzman, le boss d’Elektra, un label folk new-yorkais, mais Dylan décline la proposition : «I don’t want to sit down with anybody, no.» Il est très bien comme il est, il joue aux cartes, boit des coups, fume ses clopes et le soir, il monte sur scène au Gaslight. Quand il rencontre John Hammond Sr, l’homme qui va le signer sur CBS, c’est complètement par hasard : il accompagne un mec à la guitare et à l’harmo. John Hammond le trouve intéressant et lui propose un contrat. Dylan lui fait confiance. Où je signe ?

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    Lorsqu’il se retrouve à la Nouvelle Orleans en 1989 pour enregistrer Oh Mercy et que Daniel Lanois lui demande s’il a des chansons du calibre de ses grands hits des années 60, Dylan lui dit non. Pourquoi ? Parce que c’est impossible : «Je ne pourrais plus composer ce genre de chansons aujourd’hui, ni pour lui, ni pour personne d’autre. Pour les composer, il faut du pouvoir et le contrôle des spirits. Je l’ai fait une fois, et une fois, c’est assez. Mais il se peut très bien que quelqu’un réussisse à le faire, quelqu’un qui serait capable de voir le cœur des choses, la vérité des choses, pas de façon métaphorique, bien sûr, je parle du vrai regard, celui qui permet fixer le métal et le faire fondre, le regard qui permet de voir les choses et de les révéler pour ce qu’elles sont avec des mots crus et une vicieuse perspicacité.» Il pousse d’ailleurs le bouchon assez loin en expliquant qu’il fait une musique archaïque, sur ce nouvel album. Il n’ose pas le dire à Daniel Lanois, mais c’est ce qu’il ressent. Dylan pense que l’avenir est chez les rappers comme Ice-T et Public Enemy - Une nouvelle star allait apparaître, mais pas une star comme Presley. Il n’irait pas remuer les hanches en fixant les minettes. Il allait chanter avec des mots crus et bosser 18 heures par jour - Dylan sait qu’il doit évoluer parce que le mode évolue. C’est la métaphore du mouvement, qu’il illustre en disant qu’on compose mieux lorsqu’on est en mouvement, dans un train par exemple. Composer en mouvement dans un monde en mouvement. C’est l’un des grands secrets de Dylan, le secret de sa modernité. Il l’a d’ailleurs illustrée de façon spectaculaire avec le never ending tour, cette tournée devenue mythique qu’il voulait imprévisible, aussi bien au niveau des dates que de la composition du groupe qui l’accompagnait sur scène. À l’image de la vie. Qu’est la vie sinon un mouvement perpétuel ?

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    Quand il parle des femmes, il sait se montrer délicieusement mystérieux. Voici ce qu’il dit de Suze Rotolo, sa première poule officielle : «La chose que j’aimais en elle, c’est qu’elle ne laissait croire à aucune personne qu’elle lui devait son bonheur. Pas plus à moi qu’aux autres.» Il est encore plus délicieusement mystérieux quand il parle du paradis : «J’aimais la nuit. Les choses grandissent la nuit. C’est là où mon imagination se débride. Je perds toutes mes idées pré-conçues. Parfois vous cherchez le paradis au mauvais endroit. Il est parfois sous vos pieds. Ou dans votre lit.»

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    Et puis voilà les portraits. Le film de Scorsese, No Direction Home fait d’ailleurs écho à Chronicles, car Dylan y salue tous les géants de la scène folk new-yorkaise des early sixties, Odetta, Dave Van Ronk, Woody Guthrie et tous les autres. Il s’est aussi construit avec ces rencontres. Le nombre d’hommages qu’il rend dans ce petit livre est considérable. À la différence de Cash ou de Ronnie Wood, Dylan ne se met jamais en valeur, il met les autres en valeur, c’est sa façon de les remercier. Les gens intelligents ne disent jamais qu’ils sont intelligents, par contre ceux qui ne le sont pas abuseront facilement de cette prétention.

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    Fred Neil apparaît très vite dans le récit. Dylan le rencontre au Café Wha?. Fred Neil y chante et y officie en plus en tant que Maître de Cérémonie : il engage les artistes - Il était l’empereur de l’endroit, il avait son harem et ses dévots. On ne pouvait l’approcher. Tout s’organisait autour de lui (...) Je n’ai jamais chanté mes chansons au Café Wha?. J’accompagnais Neil et c’est ainsi que j’ai commencé à jouer régulièrement à New York - Mais ça ne s’arrête pas là, Dylan se trouve de sacrés points communs avec cet extraordinaire artiste qu’est Fred Neil : «Il semblait n’avoir aucune aspiration. On était très compatibles, on ne parlait jamais de nous. Il était comme moi, poli mais pas plus, not overly friendly, il me donnait un peu de blé en fin de journée et me disait : ‘Tiens, ça t’évitera d’avoir des problèmes’.» Dylan l’observe, ce vieux Fred - J’ai demandé un jour à Neil s’il avait enregistré des disques et il m’a répondu : ‘Ce n’est pas mon truc.’ Il cultivait sa zone d’ombre, mais aussi puissant fut-il, il lui manquait quelque chose en tant qu’interprète. Je ne savais pas quoi, exactement. C’est en voyant Dave Van Ronk que j’ai compris - L’éclairage arrive avec le grand portrait de Van Ronk, vers la fin du récit.

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    Dylan nous ramène sur un plateau d’argent un gigantesque Van Ronk avec sa moustache de cachalot et ses longs cheveux raides - Il tournait chaque folk song en surreal melodrama, en pièce de théâtre, avec du suspense jusqu’à la dernière minute. Il allait au fond des choses. On aurait dit qu’il disposait d’une réserve infinie de poison et j’en voulais encore. Van Ronk semblait venir d’une époque très ancienne. Chaque soir, j’avais l’impression d’être assis au pied d’un monument battu par les vents. Il chantait des folk songs, des standards de jazz, du Dixieland et des blues ballads, ses chansons étaient à la fois délicates, expansives, personnelles, historiques et volatiles - C’est ainsi que Dylan fait la différence entre Van Ronk et Fred Neil : d’un côté le chanteur et de l’autre le bateleur. Et il repart de plus belle sur Van Ronk : «Il était bâti comme un bûcheron, il buvait sec, parlait peu et avançait machines avant toutes.» Et Dylan achève ce portrait avec la chute des chutes, un exercice dans lequel il est passé maître : «Il dominait la rue comme une montagne et ne voulait pas entendre parler de célébrité. Il ne donnait que ce qu’il voulait bien donner. Personne n’aurait pu le manipuler. Il était immense et je devais lever les yeux pour le voir. Il venait du pays des géants.» Sans doute a-t-on là la chute la plus spectaculaire d’un ouvrage plutôt riche en chutes spectaculaires. Son autre grand héros est bien sûr Woody Guthrie, dont il va faire son modèle. Dylan parvient à le dénicher lorsqu’il arrive à New York : Woody Guthrie se trouve au Greystone Hospital de Morristown, dans le New Jersey. Alors Dylan s’y rend en bus, une heure et demie de trajet suivie d’une balade à pieds jusqu’à l’hosto perché sur une colline. Pour Dylan, Woody Guthrie is the true voice of the American spirit. Quand il découvre les chansons de Woody Guthrie, Dylan est fasciné : «Je n’en revenais pas. Guthrie avait une prise incroyable sur les choses. Il était si poétique, si dur et si rythmique. Il y avait tellement d’intensité.» C’est la diction et les textes de Guthrie qui le fascinent, certains de ses mots ont du punch, ses chansons échappent à toutes les catégories - Il y avait de l’humanité dans ses chansons, aucune d’elles n’était médiocre. Rien ne pouvait résister à Woody Guthrie. Pour moi, il était l’épiphanie, une sorte de grosse ancre marine plongée dans l’eau du port -

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    Forcément le jeune Bob apprend ses chansons, puis il met le grappin sur son autobio, Bound For Glory, et c’est un choc équivalent à celui qu’il éprouva à la découverte de Rimbaud : «Je l’ai avalé d’un trait, concentré sur chaque mot, et ce livre chantait en moi comme une radio. Guthrie écrit comme le vent et sa musique vous embarque. Ouvrez le livre à n’importe quelle page, et vous décollez.» Et il applique à Woody Guthrie le même traitement qu’à Van Ronk, celui de la chute spectaculaire : «Il est le singing cowboy, mais il est encore plus que ça. Woody est une âme poétique, le poète de la croûte de crasse et de la purée de bouillasse, il divise le monde en deux, d’un côté ceux qui travaillent et de l’autre ceux qui ne travaillent pas. Ce qui l’intéresse, c’est de libérer la race humaine de ses chaînes. Il veut créer un monde qui soit digne du genre humain. Bound For Glory is a hell of a book. Un livre énorme. Presque trop énorme.»

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    Au Café Wha?, Dylan rencontre aussi Karen Dalton qu’il admire car dit-il elle chante comme Billie Holiday et joue de la guitare comme Jimmy Reed. Il croise aussi le chemin de Moondog qui chante principalement sur la 42e rue. Plus loin il salue Roy Orbison, qu’il entend à la radio, qui chante sur quatre octaves et qui peut réveiller des morts. Il découvre que ses chansons contiennent des chansons et qu’il passe des accords majeurs aux accords mineurs sans aucune logique. L’une de ses rencontres les plus spectaculaires est sans doute celle de la bibliothèque de Ray, le mec qui l’héberge. C’est un vertige, d’autant qu’il cite les noms de mémoire et pas seulement les noms, il feuillette et se souvient de Thucydide, de Périclès, de Gogol et de Balzac, un Balzac qu’il trouve poilant - Sa philosophie est simple, il dit que le matérialisme engendre la folie. Balzac ne croit qu’en la superstition. Il analyse tout. Gérer son énergie, c’est le secret de la vie. On apprend des tas de choses avec lui. C’est une compagnie très amusante. Il porte une robe de moine et boit du café toute la journée. Trop de sommeil ralentit son esprit. Si une de ses dents tombe, il se demande ce que ça signifie. Il interroge tout. Si sa manche prend feu à cause de la chandelle, il se demande si c’est bon signe. Balzac est hilarant - Croiser Balzac dans un Dylan book, c’est un peu la même chose que de croiser Baudelaire dans un Hell book. Dylan revient à cette bibliothèque extraordinaire et se souvient aussi de Machiavel et de Dickens, de Dante et de Rousseau, des Métamorphoses d’Ovide et de Sophocle, de Faulkner et des poètes, ceux qu’il préfère, comme Byron, Shelley, Longfellow et Poe, il s’amuse à mémoriser The Bells de Poe pour le chanter en s’accompagnant à la guitare.

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    Puis Leopardi et Freud, et les Russes, Pouchkine et Dosto, puis Tolstoï qui l’impressionne car il est allé mourir dans les bois à 82 ans. Comme Debord, Dylan flashe aussi sur Clausewitz, le «premier philosophe de la guerre». Dylan trouve dans son portrait une ressemblance avec Montgomery Clift - D’une certaine façon, Clausewitz est un prophète. Sans que vous vous en rendiez compte, certaines de ses pages peuvent façonner vos idées. Si vous pensez être un rêveur, vous comprendrez que vous êtes incapable de rêver après l’avoir lu. Le rêve est dangereux. Lire Clausewitz, c’est une façon de vous prendre un tout petit moins au sérieux - Comme dirait Dickinson, méditez là-dessus.

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    Dylan croise aussi Bobby Neuwirth qu’il compare à Neal Cassidy, personnage principal d’On The Road de Jack Kerouac. Dylan trouve dommage que personne n’ai immortalisé Neuwirth - He was that kind of character. Il pouvait parler aux gens et leur siphonner toute leur intelligence - Et il ajoute que Neuwirth avait du talent, mais absolument aucune ambition - On aimait les mêmes choses, on choisissait les mêmes chansons sur le juke-box - Il admire aussi Bobby Vee - Je n’ai pas revu Bobby Vee pendant trente ans, et bien que les choses aient changé, je l’ai toujours considéré comme un frère. Chaque fois que je lis son nom quelque part, c’est comme s’il se trouvait dans la pièce -

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    Dylan aime bien Crosby aussi, parce qu’il le trouve coloré et imprévisible, avec sa cape de Mandrake le Magicien - Il ne s’entendait qu’avec très peu de gens et avait une voix magnifique, un architecte des harmonies. Il jouait alors avec la mort et pouvait semer la panique dans un quartier entier, mais je l’aimais beaucoup. Il n’avait rien à faire dans les Byrds - Il rend un hommage très particulier à Al Kooper. Ce petit chef-d’œuvre elliptique est du pur Dylan, elliptique et précis en même temps : «Kooper était un découvreur de talents, l’Ike Turner des blancs. Il avait besoin d’une chanteuse dynamique, et Janis Joplin aurait été parfaite pour lui. Je l’ai dit à Albert Grossman, l’homme qui fut mon manager et qui est ensuite devenu celui de Janis. Grossman m’a répondu que c’était le truc le plus stupide qu’il ait entendu. Mais je ne trouvais pas ça stupide. Au contraire, je voyais juste. Hélas, Janis allait disparaître et Kooper allait sombrer pour l’éternité dans le grand limbo musical. J’aurais dû être manager.» Quand il est à la Nouvelle Orleans, Dylan va au Lion’s Den Club écouter Irma Thomas, one of my favorite singers. Il a pensé à lui demander de duetter avec lui sur une chanson ou deux, comme, dit-il, Mickey and Sylvia, mais ça ne s’est pas fait - That would have been interesting - Du pur Dylan.

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    On l’a dit plus haut, les quelques pages qu’il consacre à la Nouvelle Orleans sont spectaculaires. Il vient y séjourner seul pour rencontrer Daniel Lanois et enregistrer l’album Oh Mercy. Tout le détail est dans le book. Ils fondent la qualité de leur relation sur une première discussion. Comme il faut constituer un orchestre, Lanois demande à Dylan s’il pense à des musiciens en particulier, et Dylan lui dit non. Puis Lanois indique que les hit records ne l’intéressent pas, arguant que Miles Davis n’en a jamais eu. Alors Dylan qui se régale d’entendre ça écrit que l’argument lui plaît beaucoup. Ces gens-là parlent peu mais ils parlent bien. Dylan précise que Lanois est un mec du Nord, qu’il vient de Toronto - chaussures de neige, mode de pensée abstrait - et il ajoute que les gens du Nord ne s’inquiètent pas quand ça caille car ils savent qu’il refera chaud. Et inversement, il refera froid - Le truc que j’appréciais chez Lanois c’est qu’il n’aimait pas flotter à la surface. Ni même nager. Il voulait sauter et plonger au plus profond. Il voulait épouser une sirène. Ça me plaisait - Si Dylan descend à la Nouvelle Orleans sans musiciens ni équipement c’est dit-il pour tester Lanois - J’espérais qu’il allait me surprendre. Et il m’a surpris - Le pauvre Lanois devait être ému de lire ça. On ne peut décemment espérer plus bel éloge. Du coup on prend Lanois un peu plus au sérieux, même si on voit son nom associé à des artistes qu’on n’aime pas trop. Après Oh Mercy, il fera d’ailleurs un autre album avec Dylan, Time Out Of Mind.

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    Dylan profite des sessions d’enregistrement d’Oh Mercy pour nous pondre un conte magique : «Pendant le final de ‘Where Teadrops Fall’, le joueur de sax John Hart joua un solo qui me coupa le souffle. Je me suis penché en avant pour voir son visage. Il était resté assis dans l’ombre toute la soirée et je ne l’avais pas remarqué. Cet homme ressemblait à s’y méprendre à Blind Gary Davis, le révérend que j’avais bien connu et suivi pendant toute une époque. Qu’est-ce qu’il foutait là ? C’était exactement le même type, même menton, mêmes joues, mêmes lunettes noires, même corpulence, même taille, même long manteau noir. C’était incroyable ! Le Révérend Gary Davis, l’un des sorciers de la musique moderne, il semblait superviser l’ensemble. Il me regarda d’une façon bizarre, comme s’il pouvait voir au-delà du moment présent. Soudain, je sus que j’étais exactement au bon endroit, au bon moment pour faire le bon truc et que Lanois était the right cat. J’eus l’impression d’avoir tourné au coin de la rue et d’être tombé face à face avec Dieu.» Il écrit comme il chante, bien sûr, avec des élans lyriques qui font de lui l’artiste que l’on sait, the one and only Bob Dylan. On sent battre le cœur de certaines pages. Cette prose est d’une grande pureté et Dylan déroule son fil de pensée comme un fil magique.

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    Il rend aussi hommage à Sam Phillips pour «avoir créé les disques les plus vitaux et les plus puissants de l’histoire du rock». À côté des disques Sun, les autres disques paraissent sucrés, dit-il - Sur Sun Records, les artistes semblaient mettre leur vie en jeu et venir des régions les plus mystérieuses de la planète - C’est exactement ça. Il rend hommage à Cash et en particulier à «Walk The Line», et encore plus précisément à la façon qu’a Cash de dire les choses - I keep a close watch on this heart of mine - avec sa grosse voix, Cash, dark and booming, the rippling rhythm and cadence of click-clack, oui il y a un truc qui ne lui a pas échappé - Quand j’entendis «I Walk The Line» il y a longtemps, j’eus l’impression qu’une voix me disait : ‘Que fais-tu là, boy ?’ et j’essayais moi aussi de garder les yeux grand ouverts - Hommage aussi à Leiber & Stoller - They were the masters of the Western World, ils ont écrit toutes les chansons populaires, avec des mélodies soignées et des paroles simples qui devenaient si puissantes à la radio - Dylan encense le Brill et Neil Sedaka en particulier parce qu’il composait et interprétait ses propres chansons. Dylan ajoute pour conclure ce chapitre enflammé qu’il ne connaissait pas tous ces gens-là car le Brill et la scène folk ne se mélangeaient pas.

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    Puis arrivent tous les gens qu’on voit dans le film de Scorsese, à commencer par John Jacob Niles, «a Mephistolean character out of Caroline, il s’accompagnait d’une sorte de harpe et chantait d’une voix de soprano qui donnait des frissons. Niles était surréaliste et illogique, terriblement intense et vous donnait la chair de poule. On aurait pu le prendre pour un sorcier.» Puis Joan Baez bien sûr - Tout ce qu’elle faisait fonctionnait, mais il le dit à l’envers, Nothing she did didn’t work, le simple fait de savoir qu’elle avait le même âge que moi me faisait me sentir inutile - Et plus loin il opère un curieux rapprochement : «Comme John Jacob Niles, elle était assez étrange. J’avais la trouille d’elle.» Mais il en revient toujours à l’essentiel : «Peu de gens savent convaincre avec des chansons. Vous devez croire ce que dit le chanteur ou la chanteuse. Joan savait vous convaincre.» La meilleure preuve de ce qu’avance Dylan se trouve dans le Woodstock movie : Joan Baez chante «I Dreamed I Saw Joe Hill Last Night» (Alive as you and me) a capella et c’est sans doute le moment le plus émouvant d’un film pourtant riche en grands moments. D’autres portraits extrêmement bien foutus guettent le lecteur imprudent, des portraits de gens comme Lord Buckey, Luke Askew qui nous dit Dylan chantait comme Bobby Blue Bland ou encore Len Chandler qui chantait du quasi-folk avec énergie «et qui avait un truc que les gens appellent le charisme». Et puis voilà le portait d’un dandy à l’américaine, Paul Clayon, et sous la plume de Dylan, on imagine une sorte de Christopher Walken - Clayton était unique, en partie Yankee gentleman et en partie Southern rakish dandy. Il ne portait que du noir et citait Shakespeare. Il passait son temps entre New York et la Virginie. On est devenus amis. Ses compagnons étaient des gens qui fuyaient la ville comme lui, a cast apart - ils avaient de l’attitude, mais ça restait entre eux - D’authentiques anti-conformistes, des bagarreurs, mais pas dans le genre des personnages de Kerouac, pas ceux qui courent les rues et qu’on reconnaît. J’appréciais beaucoup Clayton et ses amis. Grâce à Paul, j’ai rencontré des gens qui me proposaient de m’héberger en cas de besoin et de ne pas me faire de souci pour ça.

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    Comme toujours, on garde le meilleur pour la fin : Robert Johnson. La découverte de Robert Johnson a chez Dylan le même retentissement que celle de Woody Guthrie. C’est John Hammond Sr qui lui offre l’acétate d’un album de Robert Johnson alors complètement inconnu. L’album va paraître sur CBS. Dylan en tombe dingue - Ses coups de guitares auraient pu casser les carreaux. Quand Johnson commençait à chanter, il semblait sortir tout droit de la tête casquée de Zeus. J’ai tout de suite compris qu’il était différent de tous les autres. Ses chansons n’étaient pas que des simples blues. Il s’agissait de chansons extrêmement perfectionnées, chacune d’elles comprenait quatre ou cinq couplets et chaque couplet interférait avec le suivant, mais pas d’une façon directe. Tout chez lui n’était que fluidité - C’est donc de là que vient le rocking Bob Dylan, de cette perfection arrachée à l’oubli par John Hammond Sr. Dylan fait écouter l’acétate à Dave Van Ronk qui se montre sceptique. Van Ronk est un érudit du blues. Il dit que Robert Johnson vient de Leroy Carr, de Skip James et d’Henry Thomas - Dave pensait que Johnson était okay, qu’il était puissant mais qu’il n’avait rien inventé - Et Dylan ajoute un peu plus loin : «En 1964 et 65, j’ai probablement utilisé 5 ou 6 blues song forms de Robert Johnson, de façon inconsciente, mais plus sur l’aspect imagerie poétique des choses (the lyrical imagery side of things).» Et en guise de conclusion paranormale, Dylan raconte une belle anecdote : «Johnny Winter, le flamboyant guitariste texan né deux ans après moi, a ré-écrit la chanson de Johnson à propos du phonographe, pour en faire une chanson à propos d’un poste de télévision. Dans la chanson, la télé de Johnny est morte et il n’y a pas d’images. Robert Johnson aurait adoré ça. Johnny a aussi enregistré l’une de mes chansons, ‘Highway 61 Revisited’, qui fut aussi influencée par Johnson. C’est drôle comme les boucles se referment. Le code de langage de Robert Johnson est différent de tout ce que j’ai entendu avant ou après lui.» C’est là qu’il embraye sur Rimbaud, un Rimbaud que lui fait découvrir la sexy Suze, et là Dylan met les gaz, comme s’il pilotait sa Harley : «J’aurais bien aimé qu’on me fasse découvrir Rimbaud avant. Il allait bien avec la nuit noire de Robert Johnson et les sermons survoltés de Woody. Tout était en mouvement et j’attendais de pouvoir entrer. J’allais entrer bien chargé, bien vivant et bien excité. Mais le moment n’était pas encore tout à fait venu, tough.» Il dit souvent «tough», à la fin de ses phrases, tough.

    Signé : Cazengler, Bob Divan

    Bob Dylan. Chronicles. Volume One. Simon & Schuster UK Ltd, 2004

    La suprématie des Supremes

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    La petite black qu’on voit à gauche sur l’illusse, c’est Mary Wilson. Florence Ballard se trouve au centre et Diana la rosse à droite. Comme Mary Wilson vient de casser sa pipe en bois, nous allons tenter de saluer les Supremes.

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    Les Supremes ont pendant dix ans incarné la magie Tamla Motown. L’Amérique entière jerkait sur le beat Tamla. Diana Ross, Florence Ballard et Mary Wilson enfilaient les hits planétaires comme des perles. Berry Gordy avait mis toutes ses ressources à leur disposition : l’orchestre maison, les fameux Funk Brothers et surtout ses compositeurs maison, des équipes qu’il payait à l’année pour composer des hits, notamment le trio Holland/Dozier/Holland. Berry Gordy avait construit un Brill Building à l’intérieur du Hitsville, USA. Il produisait ses hits à la chaîne. Motown devint l’un des plus gros labels indépendants d’Amérique. Un label de musique noire monté par un noir, c’était sans précédent dans un pays où la ségrégation régissait encore les codes sociaux, même après le vote des lois en faveur des civil rights. Les autres labels de musique noire étaient dirigés par des blancs (Chess, King, Fortune, Excello, Stax, etc.). Ces gens-là empochaient les pesetas et éprouvaient d’insurmontables difficultés à les redistribuer. Et on ne parle même pas des petits labels qui payaient les bluesmen noirs avec des bouteilles de whisky.

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    Pour protéger ses artistes, Berry Gordy a dû bâtir en empire. Tous les géants de la Soul étaient sur Motown : les Tempations, Smokey Robinson, Marvin Gaye, mais aussi les géantes : Martha Reeves, Mary Wells, les Supremes et des tas d’autres. Il existe une ribambelle de singles magiques. Puis quand le marché s’est transformé et que le public se mit à préférer les albums, Gordy a augmenté la cadence pour produire des albums à la chaîne.

    L’âge d’or des Supremes va en gros de 1962 à 1969. En 1970, Motown semblait avoir perdu son âme. Le son avait évolué, mais de façon bizarre. Obsédé par sa stratégie de pénétration du marché blanc, Gordy avait fini par blanchir le Motown Sound. La diskö acheva de détruire l’une des plus belles aventures de la musique moderne.

    Diana la rosse et Berry Gordy ont comme tout le monde publié leurs mémoires. Mary Wilson et Florence Ballard aussi, et il vaut peut-être mieux commencer par elles. Les témoignages des personnages de second plan sont toujours plus riches. D’autant plus qu’on découvre, à la lecture des souvenirs de Florence et de Mary que Diana Ross portait bien son nom : une vraie rosse, capable de tout pour réussir.

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    C’est Florence Ballard qui est à l’origine du groupe. Le nom du trio, c’est elle qui le propose. Elle aurait dû devenir riche comme Diana et vivre heureuse. Mais la machine Ross/Gordy l’a broyée. Son histoire racontée dans le petit livre de Peter Benjaminson, The Lost Supreme, est une véritable tragédie. À 21 ans, Flo était une superstar. À 32 ans, elle mourait dans la pauvreté. En dix ans, elle est passée du statut de superstar à celui de RMIste, avec trois fillettes à charge et un mari absent. Elle est morte d’un accident coronarien. Devenue dépressive, elle buvait de la bière et se croyait alcoolique. Atroce. La seule qui l’aidait un peu, c’était Mary Wilson.

    Dans son admirable introduction, Benjaminson affirme que des trois Supremes, Flo avait la plus belle voix et qu’elle pouvait rivaliser de Soul power avec Aretha. Il dit plus loin qu’elle était grande, sensuelle et dotée d’un caractère indépendant, comme Martha Reeves et Mary Wells qui quittèrent Motown assez rapidement, lassées de se faire plumer vivantes. Flo savait aussi composer, mais pour une raison qui lui échappait, Berry Gordy ne voulait pas de ses chansons, alors que les autres Supremes les trouvaient bonnes - For some reason, me and Berry didn’t click.

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    Des trois amies d’enfance, Diana était la plus déterminée. Elle impressionnait Berry Gordy par sa pugnacité, son ambition et son talent. Qui se ressemble s’assemble, dit-on. Et Ross admirait Gordy pour les mêmes raisons. Non seulement elle le vénérait, mais elle flirtait avec lui et fit tout pour se le farcir. Leur relation débuta en 1965 et malheur à celles qui allaient essayer d’entraver l’ascension de Diana Ross. Les anecdotes concernant son comportement odieux vis-à-vis de Mary et de Flo pullulent. Ross arrachait des micros des mains des autres et manipulait Berry pour que les Supremes deviennent le backing band de Diana Ross, ce qui finit par se produire. Et au passage, Flo fut éjectée sans ménagement, car sa classe faisait de l’ombre à Diana Ross.

    L’autre aspect terrible de cette époque est le rapport à l’argent. Au terme d’une première tournée de trois mois à travers les USA et avec un numéro un au hit-parade, elles n’avaient pas un rond. On avait défalqué tous leurs frais des recettes de la tournées : publicité, chambres d’hôtels et sandwiches. C’était inscrit dans leur contrat. Elles devaient rembourser tous les frais occasionnés. Bien sûr, on ne leur montrait pas les comptes. Flo : « We were just working and Berry Gordy was the pimp. » Flo traite Berry de mac et elle a raison. Il était le seul à s’enrichir et les artistes ne gagnaient pas un rond. Elle signèrent un nouveau contrat : leur salaire de 50 $ par semaine passa à 225 $. Gordy leur expliquait que l’argent des royalties qui coulait à flots était investi sur un compte, dans leur intérêt, bien sûr. Flo ne vit jamais cet argent. Benjaminson estime qu’on lui devait plusieurs millions de dollars, car les Supremes vendaient des millions de disques et se trouvaient au sommet des charts du monde entier. Les filles ne savaient pas à l’époque qu’il fallait demander à voir les comptes et payer un avocat.

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    Flo fut virée des Supremes à l’été 1967 par Gordy.

    — You’re fired !

    — I’m what ?

    — You’re fired !

    — I’m not !

    Flo eut beau lutter, elle était foutue. Elle n’avait que 24 ans et Gordy l’avait brisée net. L’épisode vida Flo de toute son énergie et de toute sa joie de vivre. Cet été-là, les Supremes devinrent Diana Ross and The Supremes. Gordy voulait faire de Diana une superstar, il fallait que Flo dégage. Un nommé Michael Roshkind lui fit signer un document certifiant qu’elle n’était plus rien et qu’elle renonçait à tout. Choquée, elle refusa de signer ce torchon, puis brisée par le chagrin et par un tel affront, elle finit par le signer et éclata en sanglots. Elle se ressaisit un peu plus tard en engageant Leonard Baun qui réussit à obtenir des sommes importantes en guise de dédommagement (environ 500 000 $) mais la pauvre Flo ne palpa pas un seul billet, car évidemment l’avocat Baun empocha tout. Elle entra dans le tourbillon judiciaire pour essayer d’obtenir justice et de récupérer son bien, mais c’était trop tard. Elle n’avait plus un rond, plus de maison, plus de bagnole, plus de mari et donc plus les moyens de se battre. Les deux ou trois tentatives de redémarrage de sa carrière se soldèrent par des flops inexplicables. Elle comprit alors qu’il ne lui restait plus qu’une seule chose à faire : disparaître. Ce qu’elle fit. L’horreur, c’est que Diana Ross ramena sa fraise aux obsèques alors qu’elle n’était pas invitée et qu’elle se fit photographier avec Lisa, la plus petite des trois filles de Flo. Bien entendu, la photo fit le tour du monde. Une fois la foule partie, il ne restait plus autour de la tombe que Mary Wilson, les Four Tops et les proches de Flo. Zola aurait pu écrire cette histoire terrible.

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    Dans ses deux livres de souvenirs, Mary Wilson règle aussi ses comptes avec cette rosse de Diane - She has done many things to hurt, humiliate and upset me, but strangely I still love her - Mary Wilson est une nature étrange, elle a su écraser sa banane au moment où on virait sa copine Flo comme une chienne. Mary est la Supreme qui a tenu le plus longtemps. Elle dut même affronter Berry Gordy qui ne voulait plus entendre parler des Supremes, puisqu’il finançait la carrière de Diana Ross. Mary raconte aussi que cette rosse de Diane s’est frittée avec toutes les stars de Motown : Mary Wells, Dee Dee Sharp, Brenda Holloway et surtout Martha Reeves. Elle raconte aussi comment cette rosse monopolisait les interviews en répondant aux questions posées à Flo et à Mary. Bien sûr, ce livre n’a d’intérêt que pour l’hommage rendu à Flo. Aux yeux de Mary, Flo était la meilleure. Elle sonnait comme Aretha. Mary vit aussi Flo commencer à sombrer. Elle picolait et prenait du poids, ce que lui reprocha Gordy un soir dans un club :

    — Tu dois perdre du poids ! You are much too fat !

    — J’en ai rien à foutre de ce que tu penses ! Et elle lui balança son verre à la figure et sortit du club en trombe. Elle venait de se faire un ennemi qui allait avoir sa peau. Pour corser l’affaire, Flo ne venait plus aux concerts et les Supremes devaient chanter à deux. Alors Gordy décida de chercher une remplaçante. Il lui redonna une chance, mais dès qu’elle prenait un verre, Diana appelait Berry. Ça ne pouvait plus durer. Elle fut convoquée dans le bureau de Berry Gordy. Comme Peter Benjaminson, Mary Wilson revient sur ce sinistre épisode. Flo arriva accompagnée par sa mère. Mary et Diane assistaient aussi à la sombre. Flo réussit à garder son sang-froid, mais sa mère éclata en sanglots quand Berry lui expliqua que sa fille ne voulait plus faire partie des Supremes. Une fois Flo et sa mère parties, Berry et Diane semblèrent soulagés. Cette sale rosse de Diane lança :

    — Free at last, great God Almighty !

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    Mary se demandait comment ces deux-là pouvaient être aussi heureux après une exécution. On trouve aussi des pages fascinantes sur la première tournée des Supremes en 1962, les fameux packages Motor City en autobus avec les Miracles, les Marvelettes, les Contours, les Temptations, les Velvelettes, Stevie Wonder, Marvin Gaye et Mary Wells. Et bien sûr, elle évoque le racisme ordinaire en Alabama, illustré par des coups de feu dans la carlingue du bus et la panique à bord. Mais les pages les plus fascinante sont les passages plus féminins dans lesquels Mary décrit à longueur de page des séances de maquillage, les cours de style et les sommes vertigineuses investies dans la garde-robe des trois stars. Elle revient longuement sur Gordy dans son deuxième livre, Supreme Faith. Elle l’affronte pour essayer de sauver les Supremes mais elle ne fait pas le poids. Elle raconte que Gordy a tout appris à Diane et que la différence qui existait entre eux était que Gordy pouvait charmer un serpent, ce que Diane ne savait pas faire. Un peu amère, Mary concède que Motown, comme tous les autres labels de l’époque, n’avait absolument aucune considération pour les artistes. Le conseil qu’elle donne aux débutants est de comprendre le fonctionnement du show-business pour essayer ne pas se faire avoir. Et lorsqu’elle visite le musée Motown à Detroit, elle est complètement écœurée : sur les photos des Supremes, Flo a disparu. Comme si elle n’avait jamais existé. Berry Gordy pourrait bien être le Staline de la Soul music.

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    Le premier album des Supremes sortit en 1962. Il n’y avait pas de quoi se rouler par terre avec Meet The Supremes. C’était encore l’époque de la petite pop de salon de thé, une époque où on dégustait des macarons avec la voisine du rez-de-chaussée de l’avenue Montaigne. Cette musique dansait mollement dans les rideaux de taffetas rose. Gordy composait des slows ineptes et Diana et ses copines se livraient à des petites tentatives de mambo. Le seul cut dansant sur cet album était « You Bring Back Memory », l’un des premiers standards de r’n’b. On les sentait déterminées à danser le jerk de l’oie au bord de la piscine municipale. « Time Changes Things » semblait préfigurer les futurs grands hits classieux des Supremes. Un petit brin d’enchantement se dégageait de ce mid-tempo mambique, morceau plutôt agréable et visité par un solo de guitare féérique. Diana chasseresse se montrait déjà délicieusement persuasive.

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    Avec Where Did Our Love Go, on passait aux choses sérieuses. Le morceau titre de l’album était un hit sixties de la meilleure catégorie, secoué de clap-hands et de doublettes de basse. On voyait en rêve éveillé la tête de James Jamerson dodeliner au fil du beat. C’était magnifique d’élégance soul, on avait là le miel de la Detroit Soul, la pierre philosophale de l’Oncle Paul. À partir de là, elles n’allaient plus arrêter de pondre des œufs d’or : « Run Run Run » (chanté à la pince à linge, avec tout le chien des villes du Nord, pas de gras, comme chez Stax), « Baby Love » (l’effarant voile de beauté vert et brune s’abattit sur la planète, à l’image de cette pochette qui faisait rêver les ados romantiques) et surtout « Ask Any Girl » (beat suprême et enjôleur, la Soul de rêve, prodigieusement mélodique et fendeuse de cœurs, chargée de toute l’insolence de la gloire de Diana chasseresse, qui ne lâchait plus le manche du charme. Sa voix planait dans toutes les dimensions, elle filait comme une traînée d’étoiles dans le dessin animé de nos pauvres vies esquintées par la brutalité du monde adulte).

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    Sur A Bit Of Liverpool, on trouve quelques cuts des Beatles, mais aussi d’autres choses comme « House Of The Rising Sun » où elles essaient de grimper toutes les trois, mais il manque la viande d’Eric. C’est la B qui nous intéresse, car les covers des Beatles y sont brillantes, à commencer par « You Can’t Do That », chanté à la rosserie, véritable hit de jerk, suivi d’une version ballocharde de « Do You Love Me ». Mais les deux pures merveilles sont les covers de « Can’t Buy Me Love » (solidement swinguée, bien dans l’énergie des Beatles), et « I Want To Hold Your Hand » qu’elles cherchent à magnifier en démultipliant les harmoniques de la féminisation outrancière. Elles vont même jusqu’à détroitiser les Beatles.

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    Autre coup de Jarnac : We Remember Sam Cooke paru en 1965. Elles sertissent « Cupid » sur la couronne de leur féminité et chantent « Chain Gang » en cadence, comme des forçats en pyjama de soie. Elles tapent ensuite dans le gros hit de Sam, « Bring It On Home To Me ». On entend Mary et Flo faire yeah derrière la Ross. C’est aussi en B que ça se corse, avec « Havin’ A Party », un vrai hit de r’n’b, pour jus de Supremes. Mary et Flo font yeah yeah yeah derrière la Ross. Elles tapent ensuite une belle version de « Shake » et le swinguent à la bonne rosserie. La perle de l’album est sans aucun doute la version d’« A Change Is Gonna Come », chanté au chat perché de rêve et admirablement violonné - It’s a long long long time comin’ but I know a change is gonna come - Il semble que Marvin ait pris la suite de ce classique immensément beau. Elles terminent avec une énorme version d’« (Ain’t That) Good News ». On y admire principalement leur port altier.

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    L’album live At The Copa qui sort en 1965 fonctionne comme un bon documentaire. Oh, ce n’est pas Jerry Lee au Star Club de Hambourg. On est même aux antipodes et si on espère entendre du r’n’n endiablé, c’est raté. Diana, Mary et Flo se livraient plutôt à un numéro de music-hall et elles tapaient dans le registre des grandes chanteuses de jazz qui les avaient précédées. On ne trouvait que deux classiques de r’n’b sur ce disque : « Stop In The Name of Love », cuivré et emmené sur un beat palpitant, avec un petit vent magique, et « Back In My Arms Again », où on entend les accompagnateurs taper comme des sauvages derrière. Une vraie pétaudière.

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    La même année parut More Hits By The Supremes, un album beaucoup plus consistant. On y retrouvait l’excellent « Ask Any Girl », une vraie bénédiction, puis « Nothing But Heartaches », une monstruosité, bassmatic, tambourins, tout y est et Diana drive tout ça avec une aisance confondante. Elle incarne le pur heartbeat des sixties, l’alliance supérieure du beat masculin et du charme féminin. Le beau rouge turgescent coulisse à merveille dans le swing de voix féminine. Avec « Mother Dear », on savoure l’élégance supérieure d’une attaque de doux beat doux wah. Diana chasseresse se glisse dans le bleu de la nuit de Detroit. La véritable élégance de la Soul Motown, c’est elle qui l’incarne. Et paf ! « Stop In The Name Of Love » arrive comme un don du ciel. Certainement l’un des plus gros hits de tous les temps. Un phare dans la nuit des sixties. Les chœurs de Flo et Mary donnent le vertige. Et la production ? À tomber. Somptueuse et inégalable. Berry Grody avait réussi à créer une usine à rêves. Mais on ne pouvait pas tomber amoureux de Diana Ross parce qu’elle était trop flamboyante. Avec « Back In My Arms Again », c’est la suite - et jamais fin -  de la magie suprême. Elles enchaînaient les hits comme des perles, alors forcément, elles distançaient les concurrentes. Et avec quelle aisance ! Tambourins et big bassmatic sur « Whisper You Love Me Boy ». Elles sont littéralement portées par le son. James Jamerson rôde toujours dans les parages, sous la surface des choses.

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    En 1966, on est au cœur de l’âge d’or Motown. Les Supremes sortent deux albums : A Go-Go et I Hear A Symphony. A Go-Go contient son petit lot d’énormités, comme par exemple « Love Is Like An Itching In My Heart », Soul magique de sucre d’orge chantée d’une voix de pinsonne éberluée, archétype des années légères et lumineuses. Et le festival continue avec « This Old Heart of Mine », nouvelle conjugaison coulissante du gros beat et du softy softah moelleux. « You Can’t Hurry Love » est un autre hit déterminant des sixties, chanté avec charme mais sans puissance, juste une ampleur bien définie, un petit côté féérique. Diana monte dans son registre en sucre d’orge et chante à merveille le tranché du beau. Et ça continue comme ça jusqu’à la fin de cet album mirobolant. Il semblait à l’époque que Diana Ross incarnait une certaine forme d’aristocratie de la Soul. On la sentait un peu princesse. James Jamerson fait un numéro de haute voltige dans la reprise de « These Boots Are Made For Walking ». Sur la B se nichait un autre hit exceptionnel, « I Can’t Help Myself », gorgé de l’excellence du groove jerky. Jamerson nous pulsait ça au prorata de l’élégance suprême. Diana chasseresse modulait à l’infini le doux sucré du miel de voix et nous embobinait pour de bon. Elles finissaient l’album avec deux curiosité kitschy-bitchy, « Come And Get These Memories » (un hit composé pour Martha & the Vandellas qu’elles traitent au mid-tempo joliment swingué) et « Hang On Sloopy » (bien mambique, dans l’esprit de ce que faisait Bert Berns, grand amateur de rythmes cubains).

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    On se régale tout autant d’I Hear A Symphony. Le morceau titre relève une fois de plus de la magie. Les Supremes étaient probablement les seules à savoir proposer ce mélange de puissance rythmique et de délicatesse vocale. Diana Ross était une petite personne raffinée au grain de voix sucré et pointu. C’est ce mélange qui a fait la force des Supremes. Les trésors se trouvent sur la B. « My World Is Empty Without You » illustre la grandeur du Motown Sound. On le sucré et la beauté. On sent bien que ces hits de Soul étaient destinés à traverser les siècles, car ils étaient parfaits. Grande classe encore avec « Any Girl In Love », chœurs à la clé et toute l’innocence des petites blackettes de Detroit. Lamont Dozier et les deux Holland fourbissaient des compos de rêve. Ces trois mecs savaient swinguer la beauté formelle. Dans ce morceau, on retrouve l’éclat magique de « Jimmy Mack », lorsque les voix croisent les notes de basse dans les octaves. Ultime énormité avec « He’s All I Got », swingué à la manière forte.

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    The Supremes Sing Holland Dozier Holland et The Supremes Sing Motown proposent exactement les mêmes morceaux. Ils font partie des très grands albums des Supremes. La fiesta commence avec « You Keep Me Hangin’ On », encore un hit absolu des sixties. L’an prochain il aura cinquante ans d’âge et il n’a pas pris une seule ride. On a un groove suprême avec « Love Is Love And Now You’re Gone ». Comme Esther Phillips, les Supremes définissent les conditions des jours heureux. Elles flottent au sommet de la légende Motown. Dans « Mother You Smother You », Diana se tortille au sommet du beat gracile. Cut après cut, on patauge dans l’excellence. « It’s The Same Old Song » fut composé par le trio pour les Four Tops et elles en font une version fraîche et juteuse. Encore un merveilleux jerk de cave avec « Going Down For The Third Time » et retour à la good time music avec « Love Is In Our Hearts », excellence de la belle ambiance, groove princier et harmonies vocales sucrées. Que te faut-il de plus ? C’est à ce genre de morceau enchanté qu’on mesure le talent des compositeurs. À ce niveau d’excellence, on pense à Burt Bacharach et à Gainsbarre. Beau jerk des familles avec « There’s No Stopping Us Now ». Ça repart au tambourin et aux doublettes de basse jumpy. C’est hallucinant de grandeur productiviste. Diana et ses amies restent perchées au sommet de l’excitation. Elles ont su rendre leur époque délicate.

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    Avec The Supremes Sing Rogers & Hart, on se retrouve à Broadway. Little Willie John rêvait de devenir Frank Sinatra. Les Supremes devaient rêver de devenir Liza Minnelli. Sur cet album, elle étaient accompagnées par un big band. La seule trace du Motown sound, c’était la voix sucrée de Diana. En B, elles revenaient enfin au son de base avec « My Heart Stand Still » et retrouvaient tous les tenants et les aboutissants du beat Moyown, veiné de frais, vibrant d’allure, palpitant et arrogant. La perle de cet album s’intitulait « Falling In Love With You », une jolie pièce de good time music qui rappelait à quel point les Supremes se situaient dans l’excellence.

    C’est à là que Flo est virée. Pendant que Diana Ross et les Supremes se produisent dans les clubs prestigieux, Flo sort chaque nuit après que ses filles se soient endormies et roule dans les rues de Detroit jusqu’à l’aube en écoutant les cassettes de son ancien groupe. Et quand elle n’aura plus de bagnole, elle marchera des nuits entières, errant dans les quartiers au hasard - It was like I was in a daze. It was like I didn’t care anymore. I had given up - Flo avait renoncé définitivement.

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    Attention : Diana Ross & The Supremes Join The Temptations est une bombe atomique. En matière de Soul suprême, il n’existe rien au dessus de cet album. C’est le super-groove de Detroit, embarque par Eddie Kendricks d’un côté, et de l’autre, Diana, Mary et Cindy Birdsong, la remplaçante de Flo. « Ain’t No Mountain High Enough », c’est tout simplement la Soul du diable. Le mélange des genres donne le vertige. Eddie et Diana, c’est une expérience extrême. « I’m Gonna Make You Love Me » atteint les sommets. Diana essaie de monter comme Eddie, mais elle peine à suivre ce démon. Ils tapent dans Burt avec « This Guy’s In Love With You ». C’est mélodiquement pur, une vraie plage de bonté pour l’esprit. Mielleux à souhait, la Soul à son sommet, dotée de contrechants à l’unisson du saucisson. Mais là où ils dépassent les bornes, c’est avec la version de « Funky Broadway ». C’est d’une violence indescriptible. Diana arrive là-dedans comme un ange de la mort noire. En B gigotent d’autres puissantes merveilles, comme « I’ll Try Something New » et son mélange capiteux des deux tons de Soul. Mais les Temptations swinguent dix mille fois plus que les Supremes. James Jamerson démarre « A Place In The Sun » à la basse. « Sweet Inspiration » est un fantastique jerk de grosse caisse secoué aux clap-hands et emmené à l’énergie du gospel batch. Imbattable. Et ils osent taper dans l’inaccessible étoile de Jacques Brel. Ils essaient de monter, mais c’est impossible. Personne ne peut aller rejoindre Brel là-haut.

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    Reflections assoit encore un peu plus la suprématie des Supremes. Que de hits Motown sur cet album Motown ! Diana emmène tout le monde, y compris les auditeurs, dans son chariot de feu dès le premier cut qui est le morceau titre de l’album. Grimpage direct. Avec « I’m Gonna Make It », elle marie le suave et la Soul. Délicieuse union. Diana sucre les fraises de la Soul avec une fascinante ardeur. On passe à la pulsasivité inconditionnelle avec « Forever Came Today » que Diana drive à bride abattue. La Chasseresse file à travers les bois qui bordent le lac Michigan. Pour une fois, la déesse mythologique est noire. Ça nous change. En B, elle tape dans le vieux coucou de Burt déjà repris par Cilla, Jackie et Dusty chérie : « What The World Needs Now Is Love ». Diana ne peut pas résister à l’appel des stratosphères. Mais dans l’esprit, elle est beaucoup plus soft que ses collègues. Elle ne recherche pas la performance physique, ce n’est pas son style. Diana est une suave, une féline. Elle boucle l’affaire avec une reprise d’« Ode To Billy Joe ». Elle prend ça d’une voix blanche, mais désolé, Diana, on préfère Bobbie Gentry.

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    Nouvel album collaboratif avec les Temptations la même année : The Original Soundtrack Of TCB (Taking Care of Business). Ça explose dès « Stop In The Name Of Love ». On retrouve ce qui fait la magie des sixties - My name is Diana Ross, this is Mary Wilson and that’s Cindy Birdsong. Our business is singing - Elles font une fantastique reprise du hit des Four Tops, « You Keep Me Hanging On » et on passe au génie pur avec le « Get Ready » des Temptations - Here come the Tempts ! - C’est embarqué à train d’enfer. Plus loin, les Supremes balancent un medley « Mrs Robinson/Eleanor Rigby » et les Tempts se cognent le « Respect » d’Aretha. En B, on retrouve le hit des enfers définitif, « (I Know) I’m Losing You » et ils terminent avec un version un peu pauvre de « The Impossible Dream ». Tout le monde n’est pas Cézanne, nous nous contenterons de peu, disait Aragon. Même chose pour Brel. Le seul qui puisse l’approcher, c’est Scott Walker.

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    On crut bien que les Supremes étaient foutues en 1968, avec la sortie de Love Child. Le morceau titre sonnait comme de la diskö violonnée, et ça illustrait toute la dérive du Motown sound. Pour les fans de la première heure, ce fut un sale moment à passer. Berk ! Motown ressemblait à une vieille tante. Mais Diana n’avait pas dit son dernier mot. « How Long Has That Evening Train Been Gone » renouait avec le beat SNCF et on entendait Jamerson faire un festival. Du coup, ça redonnait espoir car ça jouait à la haute voltige. Diana et James Jamerson, c’était un peu l’âme de Motown. Jamerson remontait au front avec « Honey Bee ». Il ressortait le dynamic bassmatic des Four Tops. Fucking enormity ! On avait là une véritable horreur de raw r’n’b avec des chœurs à la traîne, et comme chez les Four Tops, ça roulait sur des grosses notes de basse. Jamerson était le roi du big bass romp. S’ensuivait une autre pièce d’allure supérieure, « Some Things You Never Get Used To ». On sentait que Diana retrouvait son éclat dès qu’elle avait un gros cut à se mettre sous la dent. Elle savait dégager le passage. Elle nous sortait ensuite un joli groove des jours heureux, « He’s My Sunny Boy », et elle poursuivait sa fantastique croisade avec « You’ve Been So Wonderful To Me », pur chef-d’œuvre de good time music. Elle étendait son empire à l’infini, elle chantait son groove avec une sensualité de lèvres humides, elle en devenait hallucinante, elle se lovait dans le creux de l’oreille et on tombait définitivement sous le charme de cette rosse infernale. Elle s’introduisait aussi dans le groove de « You Ain’t Livin’ Till You’re Lovin’ » comme une petite souris. Elle chantait au sucre d’orge magique. Et elle finissait avec deux énormités cavalantes, « I’ll Set You Free », digne de Hangin’ On, et là, elle explosait la Soul, elle grimpait si haut qu’elle donnait le vertige, et « Can’t Shake It Loose », une énormité à tomber de sa chaise.

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    Petit album live vite fait la même année avec Live At London’s Talk Of The Town. Diana et ses copines sont accompagnées par un grand orchestre et donc elles peuvent se permettre de taper dans le music-hall. Elles font ce que tous les artistes de r’n’b faisaient à l’époque, des medleys. C’est assurément du grand cru. Parmi les bonnes surprises, on trouve une version fantastique de « Love Is Here And Now You’re Gone ». Diana embarque le public londonien dans sa pop fraîche et parfaite. Une pop parfaite, comme peut l’être une femme dans le regard d’un homme. On ne voit plus les défauts et on s’émerveille. Elles font une version ultra-rapide de « You Keep Me Hanging On » et un medley beatlemaniaque avec « Michelle » et « Yesterday ». Diana chante le début de Michelle en Français - sont des motes qui vont tlès bien ensemble - Elles avaient toutes les trois une classe terrible.

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    Paru en 1969, Let The Sunshine In sentait un peu la fin des haricots. Avec « No Matter What Sign You Are », elles revenaient à une sorte de pop soul funky de bon niveau. Diana conservait ses réflexes de reine des rosses et chantait sa belle pièce de sunshine pop violonnée avec la grâce habituelle. Il fallait attendre la fin de la B pour retrouver un hit digne des Supremes de la grande époque. Avec « I’m So Glad I Got Somebody », elle reprenait le beat en main et refabulait la Soul, comme au bon vieux temps.

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    La même année, sortait un nouvel album de collaboration avec les Temptations, Together. Il faut voir comment les Temptations relèvent le niveau de la Soul. C’est flagrant dès « Stubborn Kind Of Fellow ». Diana essaie de rivaliser de génie avec eux. Ils continuent d’exploser la Soul avec « I’ll Be Doggone ». Diana entre au second couplet. Elle a un sacré toupet. Elle ose se faufiler entre les pattes des géants pour tenter de s’imposer. Hey hey hey, les gars envoient ces chœurs de background dont ils ont le secret. Et puis on tombe de sa chaise avec « Uptight (Everything’s Alright) », l’un des plus grands hits Motown, l’absolue puissance du beat Tamla. C’est eux, les Temptations, qui l’incarnent. Diana rentre bien dans le lard du cut. Elle peut être fantastique quand elle veut. D’autres monstruosités guettent l’imprudent visiteur en B, comme par exemple ce « Sing A Simple Song » qui conduit droit à l’enfer un peu funky des Temptations. Ah, ils savent dégommer un hit, ces mecs-là ! Et Diana entre dans le cirque en vraie shouteuse de la victoire. Puis ils tapent dans le grand hit de Smokey Robinson, « My Guy My Girl ». C’est ultra-joué à la basse. À la reprise du thème, David Ruffin nous enfume comme des lapins dans un terrier. Ce mec joue avec le miel du génie. Rien n’est aussi doux à l’âme que le son des Temptations. Diana revient et David lui donne la réplique, alors tout le boisseau monte tranquillement au ciel. Vous ne trouverez pas beaucoup d’albums qui frisent autant la perfection que celui-ci.

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    Cream Of The Crop parut aussi en 1969, année érotique. On s’attendait à une sorte de déclin, à cause la pochette où Diana paraît en gros plan coiffé d’une atroce perruque. Mais l’album est encore très solide. Avec « Can’t You See It’s Me », Diana et ses collègues reviennent au pur jus r’n’b des Supremes, langueur et classe. Elles restent dans ces haut de gamme auquel elles nous ont habitués. « You Gave Me Love » est aussi une vraie chanson, dans la tradition Tamla, montée sur un beat imparable. Et on entend la basse de Jamerson cavaler derrière. Elles font une reprise de « Hey Jude » puissante car entièrement jouée à la basse. Il faut entendre cette bassline voyager dans le fond du studio B. Jamerson joue les effrontés avec un son rond et terriblement présent. Pour le final, Diana a tente d’égaler McCartney, mais elle se contente de pousser des petits cris de hyène lubrique. On retrouve ce fantastique travail de bassmatic dans « Shadows Of Society ». Encore une fois, c’est Jamerson qui porte le poids du monde Motown. Il place de violents décrochages de gammes et des chevauchements de cordes intempestifs. Belle B avec « Loving You Is Better Than Ever », une vraie classe longiligne. Les Supremes naviguent à un tel niveau que rien ne saurait plus nous surprendre. Elles restent dans la grande veine des hits d’antan avec « When It’s To The Top » et on retourne faire une promenade de trois minutes dans le jardin magique de la Soul de rêve. On y retrouve Diana et les violonnades des jours heureux. Elles tapent aussi dans « Blowing In The Wind », mais franchement, elles auraient mieux fait de s’abstenir.

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    À une époque, on trouvait en DVD les vieux rogatons d’Ed Sullivan et c’était l’occasion de revoir les Supremes de l’âge d’or. On peut même parler de magie avec « Come See About Me ». On ne voit que Flo, la plus petite des trois, la plus racée et dotée d’une poitrine avantageuse. Mary est la plus grande des trois et les gros yeux globuleux de Diane la Ross choquent un peu. Tout aussi magique, « Love Is Like An Itching In My Heart », mais Flo et Mary sont cette fois très en retrait. Elles portent des robes jaunes et dansent le jerk. Il faut avoir vu ça au moins une fois dans sa vie, car c’est exceptionnel. On peut aussi voir « I’m Living In Shame » mais Flo vient d’être virée. Le groupe s’appelle désormais Diana Ross & the Supremes.

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    Puisqu’on est dans les DVD, l’idéal est aussi de pouvoir jeter un œil sur Dreamgirls, l’adaptation cinématograhique ultra-romancée de l’histoire des Supremes. La grosse Jennifer Hudson joue le rôle de Flo et chante comme Aretha. Elle est la révélation de ce film. De la même façon que les Supremes s’appelaient les Primettes, les filles s’appellent les Dreamettes. Lors d’un concours à Detroit, elles sont repérées par Jamie Foxx qui joue bien sûr le rôle de Berry Gordy. Mary et Diana sont un peu effacées. Comme dans la vraie histoire, Berry passe Dina/Diane au premier plan. Effie/Flo le prend mal et Berry lui donne l’ordre de se calmer, sinon... Sinon quoi, trésor ? Il finit par virer Effie/Flo le soir du Motor City’s Burning, baby. Le groupe devient Dina Jones & the Dreams. L’autre personnage clé du film est joué par Eddie Murphy qui campe un sulfureux mélange de Wilson Pickett et de Marvin Gaye, puisqu’on le voit chanter vers la fin un groove coiffé d’un bonnet de laine. La fin du film est beaucoup plus morale que la réalité, puisque Effie/Flo retrouve un job de chanteuse dans un club et le soir du concert d’adieu des Supremes, elle est même invitée à chanter sur scène avec les trois autres. Berry Gordy ne sort pas grandi de ce film. On y voit un dictateur qui gère la vie de ses artistes jusque dans le moindre détail. Un soir, il dit à Dina/Diana : « Tu sais pourquoi tu chantes en lead ? Parce que ta voix n’a aucune profondeur, sauf la mienne. » Ce qui explique pourquoi il s’est débarrassé de Flo.

    Signé : Cazengler, Sousprême

    Supremes. Meet The Supremes. Motown 1962

    Supremes. Where Did Our Love Go. Motown 1964

    Supremes. A Bit Of Liverpool. Motown 1964

    Supremes. We Remember Sam Cooke. Motown 1965

    Supremes. At The Copa. Motown 1965

    Supremes. More Hits By The Supremes. Motown 1965

    Supremes. A Go-Go. Motown 1966

    Supremes. I Hear A Symphony. Motown 1966

    Supremes. The Supremes Sing Hollan Dozier Holland. Motown 1966

    Supremes. The Supremes Sing Motown. Motown 1967

    Supremes. The Supremes Sing Rogers & Hart. Motown 1967

    Diana Ross & The Supremes Join The Temptations. Motown 1968

    Diana Ross & The Supremes. Reflections. Motown 1968

    Diana Ross & The Supremes With The Temptations. The original Soundtrack From TCB. Motown 1968

    Diana Ross & The Supremes. Love Child. Motown 1968

    Diana Ross & The Supremes. Live At London’s Talk Of The Town. Motown 1968

    Diana Ross & The Supremes. Let The Sunshine In. Motown 1969

    Diana Ross & The Supremes. Together. Motown 1969

    Diana Ross & The Supremes. Cream Of The Crop. Motown 1969

    Peter Benjaminson. The Lost Supreme. The Life Of Dreamgirl Florence Ballard. Lawrence Hill Books 2008

    Mary Wilson. Dreamgirl - My Life as A Supreme. Cooper Square Press 1999

    Mary Wilson. Faithfull. Harpercollins 1990

    Bill Comdon. Dreamgirls. DVD 2007

    Ed Sullivan Show. The Temptations & The Supremes. DVD Eagle Vision

     

    BACKSTAB

    CÖRRUPT

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    Je n'ai jamais aimé les maths – ceci n'est pas l'expression d'un racisme primaire, ce sont les maths qui ont été incapables de s'infiltrer dans les complexes réseaux de neurones qui forment ma vaste intelligence - par contre je n'ai jamais eu de difficulté particulière pour entrer en communion avec le mathcore. Qu'est-ce que cette abomination encore demanderont les lecteurs excédés de ces rencontres chadiennes envers des groupes radicalement bruiteux. C'est vrai que hier encore je ne connaissais par Cörrupt mais l'appellation incontrôlée aperçue sur le net ( I'm the midnight rambler ) m'a attiré. Des gens qui cherchent à vous corrompre parce qu'eux-mêmes s'estiment corrompus ne sauraient nous effrayer, ils ressemblent tellement à notre société qu'ils sont inscrits dans notre quotidienne normalité. Ou alors ils se contentent de nous tendre un miroir dans lequel nous sommes obligés de reconnaître que notre tête est particulièrement gorgonesque. Avant d'écouter nos Corrüpt, une leçon de math de rattrapage pour les cancrelats auprès du radiateur. En ses débuts, en ses prémices, le noise-rock cherchait avant tout à faire du bruit. Cela vous avait un petit côté anti-bourgeois léniniste, cependant avec le temps il fut urgent et nécessaire d'argumenter et de revendiquer intellectuellement ce parti-pris de tonitruance, je vous dérange, c'est bien fait contre vous, j'exprime ma différence, du coup le noise est devenu un rameau arty qui mêlait esthétisme, futurisme et décadentisme. Reproches et critiques n'ont pas tardé à fuser : c'est du n'importe quoi, du vulgaire boucan, des trucs simplistes que voulez faire passer pour du grand art, c'est alors que le mathcore se mit en place, le noise est devenu plus difficile qu'une équation du dix-septième degré, certains affirment que le germe fatal du mathcore se niche dans les compositions de King Crimson, pourquoi pas remonter jusqu'au Manifeste intitulé L'art des bruits paru en 1913 de l'expérimentateur Luigi Russolo...

    De toutes les manières toutes ces subdivisions métallifères possèdent des frontières poreuses, et Cörrupt peut aussi cocher les cases death, black et hardcore. Le groupe existe depuis une dizaine d'années, sont obligatoirement quatre à l'image des sergents de la Rochelle dont ils proviennent, Greg War est au chant, Renaud Galliot à la guitare, Florian Piet à la basse, Pablo Fathi occupe le poste de batteur, nous l'avons déjà rencontré puisqu'il officie aussi à cette pelleteuse dans UnCut ( voir notre livraison 494 du 21 / 01 / 2021 ).

    Backstab est leur premier EP, l'est sorti en 2017, sont en train de bosser le suivant. Backstab signifie coup de poignard dans le dos. Le dos du CD est d'ailleurs orné d'une illustration qui n'est pas sans rappeler le logo de Pogo Car Crash Control, comme quoi les mauvaises herbes se rencontrent toujours.

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    You are about to crack : grincement machiavélique suivi d'une parmentière de batterie particulièrement brutale, Greg a déclaré la guerre au vocal, il grogne tel un ours en cage qui brise les barreaux de ses dents et les écarte de ses griffes, âmes sensibles abstenez-vous, une fois sorti il se rue sur les visiteurs de la ménagerie et les écrabouille en purée sanguinolente, le pire c'est qu'ils se contrôlent, vous pensez que Cörrupt fonce à l'aveuglette pas du tout, ils sont du côté noir de l'intelligence de la force, une fureur calculée au millimètre près. Le morceau dépasse à peine les deux minutes, et c'est si bien calculé que vous ne vous en apercevez pas. Finally free : un bruit de ferraille rémoulante qui vient de loin et qui s'affirme, moteur qui prend son temps pour démarrer mais après rien ne l'arrêtera, implacable comme la lame des guillotines, des guitares qui pulsent, une batterie qui s'énerve grave, Greg qui hurle tandis que les autres emboutissent le son à coups de bulldozer. Eloignement progressif. Lorsque vous n'entendez plus rien, vous soupirez, vous croyiez qu'ils avaient tué le silence. Politicians on television : on n'a pas les paroles mais on les comprend, des guitares qui résonnent comme si Renaud et Florian s'en servaient comme des élastiques XXL pour expédier des harpons géants sur nos dirigeants mal-aimés, Greg récate les malotrus de son lance-flammes vocal, s'enfonce dans un hurlement infini suivi d'un long grésillement, le fuzzible des guitares a lâché. Your reality : une intro comme un jeu de quilles humaines dans lequel Greg lâche le boulet d'acier de son vocal qui décanille tout ce qui est debout, l'a son mot d'ordre, rien ne doit subsister, articulation guitare-batterie pour compter les cadavres, doit encore y avoir des survivants, les blindés font un demi-tour pour écraser tout ce qui ose bouger, la batterie s'active et mitraille sans rémission, notre réalité ne doit pas être jolie car la voix de Greg s'acharne sur elle, elle déverse dessus une benne à ordures géante qui vous ensevelit sous des immondices peu ragoûtants, des avions de chasse survolent longuement le champ de bataille, la voix sépulcrale de Greg plane sur les décombres, elle profère la victoire de la mort triomphatrice, et maintenant elle en appelle aux légions maudites des spectres qui envahissent la planète, les guitares se taisent lorsque l'étiage supérieur est atteint. L'on entend une mouche voler.

    L'ensemble ne dure même pas treize minutes, mais l'EP est une démonstration parfaite d'un savoir-faire supérieur, ces quatre gars sont habités par l'esprit du Metal, de véritables illuminés. L'on attend le futur artwork. Devrait paraître sous le titre de You are all fakers, doit-on en conclure qu'ils ne sont pas décidés à nous passer la brosse à reluire, ils préfèrent user du fouet à pointes d'acier. Sont pour les thérapies de choc. N'ont pas tort, car des EP de cette facture vous requinquent le moral jusqu'à la fin de l'année.

    Damie Chad.

    ASK THE DUST

    ANASAZI

    ( Avril 2018 )

     

    Lorsque dans notre livraison 496 nous nous étions intéressés à Croak nous avions appris que toute une partie de Croak était formé par des membres d'Anasazi, une excuse idéale toute trouvée pour jeter un œil perçant sur ce groupe que nous ne connaissions pas. J'ai bien dit œil et pas esgourde car la pochette de leur dernier album entrevu au hasard de mes pérégrinations nettiques avait déjà attiré mon attention... Ask the Dust est leur cinquième album paru en 2018, ils travaillent actuellement sur le prochain Cause et Conséquences - un titre très aristotélicien - ils ont aussi deux EP à leur actif... Anasazi originaire de Grenoble est né en 2004.

    Mathieu Madani : vocal, guitare rythmique, keyboards / Christophe Blanc-Tailleur : basse, mixage / Bruno Saget : lead guitar / Anthony Barruel : drums.

    Un CD qui se regarde et qui se médite. Pas le genre de truc dont vous vous hâtez d'attraper la rondelle pour la glisser dans votre lecteur. La pochette exige une attention prolongée. Parce qu'elle est belle. Mais cela ne suffit pas. Grégory Pigeon est doué, aucun doute sur son habileté technique. C'est face à de telles réussites que l'on regrette les anciens formats des 33 tours... Mais il est des images qui disent davantage qu'elles ne montrent. Certaines mêmes vont plus loin, elles interrogent.

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    A priori un manège qui flotte sur la mer. L'on imagine l'anecdote, un raz-de-marée subit, un tsunami vindicatif qui aurait emporté une attraction foraine... Toutefois rappelons-nous que le propre d'un symbole est de désigner une réalité autre que celle que dévoile son aspect ( ici ) graphique. Serait-on en présence de l'ultime arche de Noé, non pas celle fondatrice de la race humaine, mais la dernière la conduisant à son extinction. Le manège tourne-t-il à vide comme ces moulins à prières tibétains que le vent affole. Et ses chevaux de bois ( ou de résine ) pourquoi ne galopent-ils pas sur les flots déchaînés, pourquoi menés par Poseidon ne se ruent-ils pas en vagues tumultueuses, tels les étalons écumeux de Walter Crane, sur les rivages... Ô Neptune, les Dieux sont-ils morts, et le monde est-il réduit à n'être plus que le réceptacle des vides épaves de nos rêves échouées sur d'infertiles îlots... Le dos de la pochette répond à cette question.

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    Ask the dust, titre d'un roman de John Fante, nous rappelle que tous nous sommes mortels, que nous retournerons tôt ou tard à la poussière, amis rockers, je sais ce n'est pas gai, mais Anasazi n'est pas groupe de rockabilly qui relate d'enjouées éjaculations sur la banquette arrière d'une Cadillac rose. Bonbon. Ce qui entre nous n'est pas désagréable et assure la propagation de l'espèce. Anasazy est un groupe de metal-prog dont les racines plongent jusqu'à Dream Theater qui lui n'hésite pas à citer Yes. Perso, là je dis No.

    Staring at the sun : cela commence tout doux, une espèce de mélodie folk qui s'assombrit peu à peu, l'innocence trompée qui redresse la tête tandis que la musique s'alourdit comme si toutes des quinze secondes l'on rajoutait quelques pistes de guitare supplémentaires, elle sonnait étrangement jusques à lors en tintements de cloche, et l'on débouche dans un long passage qui là aussi s'alourdit de séquence en séquence, guitare de plus en plus pesante et batterie claquante, le vocal se fait chant, le désespoir exacerbe la lucidité. Longtemps le soleil glapira sur votre pierre tombale. Miles away : guitare dénudée, la voix blanche et creuse, une ballade dépourvue de toute sentimentalité, un poule vidée de ses entrailles dont le sang goutte sur l'évier, une chanson sereine, celle de l'éloignement de soi et de l'arrachement des autres qui nous furent chers, une guitare rampante comme un feu qui s'avive sur le flanc d'une montagne, traversée des souffrances, subtiles orchestrations, la voix en ses propres échos comme perdue en son puits de liberté. Et de solitude. Les grands espaces, les miles away en surfaces corrigées, juste un coup de ciseaux sur les liens affectifs qui vous rattachent aux autres. Ce morceau git comme un poison d'autant plus définitif qu'il est facile à avaler. Feeling nothing : beaucoup plus sombre, guitare froissées, batterie qui décompte l'inéluctabilité du temps qui vous reste à vivre, Madani menace et sardonise, la voix de l'assassin qui prend son temps, certain que sa proie ne peut lui échapper, fait durer le plaisir, la musique se fêle comme du cristal, et tout se précipite, l'orchestration est le poignard avec lequel le killer se fera hara-kiri, le sang bat dans ses tempes tandis que des guitares moqueuses lui tirent des langues de vipère, vient de s'apercevoir qu'il est sa propre victime, baisse le ton, se parle à lui-même, le son lui parvient comme s'il provenait d'une radio qui traduirait ses propres sentiments, tout s'emmêle. Drift away : berceuse, celle de l'échec, celle du trop tard, la chanson amère des défaites consenties, dans le premier tiers l'orchestration est presque insupportable comme des reproches qui ne servent en rien, elle prend sa revanche dans la séquence médiane, occupe toute la place, se torsade et s'emmêle sur elle-même, un serpent désespéré qui ne se supporte plus et se transforme en une tresse de détresse mutilatoire, la voix revient, s'en mêle et domine, la musique se calme et se tait. Falling : l'on ne peut pas dire que les titres inclinent vers l'optimisme ! Pourtant pour une fois la voix se fond dans le background instrumental, du trompe-l'œil parce que bientôt elle s'exhausse du brouhaha et dresse l'inventaire d'un faux sursaut velléitaire de vouloir-vivre schopenhaurien, la guitare miaule sur les toits comme pour lui signifier qu'elle est son amie, qu'ils tomberont tous ensemble devant l'implacabilité du constat. Ce qui ne manque pas d'arriver. The second before : tic-tac tambouriné, notes égrenées qui ne sèment pas à tous vents, même si les guitares tournent les pages d'un livre déjà écrits, des voix qui viennent de partout, qui redisent la même chose, toute seule ou à plusieurs, qu'une seconde avant on aurait pu accéder à la lumière, mais que c'est raté, que c'est tant pis pour nous, les guitares se font consolantes, puis cette déconnexion soudaine à soi-même. Fausse porte de sortie. Still I can't hide : basse résonnante, une voix qui vient de loin, comme d'une brume qui l'isolerait d'elle-même, une ligne mélodique qui ramène le malheur au bout de son hameçon, pouvez le chanter avec toute l' intensité désirée, des cordes de plus en plus grinçantes, le rêve poursuivi se laisse prendre, s'insinue en vous, prend les commandes de votre cerveau, un cauchemar dont vous ne sortirez jamais. Déploiement lyrique de l'orchestration. Chut ! L'ombre grandit autour de vous. And the grudge ( still here ) : plus de huit minutes, l'on ne se méfie pas, semble la suite du précédent, mais les guitares bruissent et la batterie gronde en sourdine, tandis qu'une mélodie bat de l'aile telle un oiseau blessé, c'est le retour sur moi-même le déroulé d'un vécu qui quelque part a foiré, une valse qui déraille, ce fut beau et vivifiant, les guitares crépitent à la manière des feux de joie, le son devient plus fort, des arabesques orientales luisent de tous leurs festons, le vocal se fait accusateur, maintenant tout s'envole, est-ce moi, est-ce l'autre, mais tout a été ressenti si fort que la tête vous tourne telle un manège qui ne pourrait plus s'arrêter et se brise. Into the flood : quelques notes sépulcrales coulent comme des larmes, le temps de l'acceptation est venu, rien ne sert de vouloir survivre, tout est déjà consommé, des mots tous doux qui aspirent au néant, qui sont prononcés après la lutte et les débats, une triste histoire, si belle que l'on en ferait une chanson pour les enfants, les claviers prennent ici leur revanche, ils ont été tout le temps là en tant qu'accompagnateurs, mais ici et maintenant ils noient le morceau d'une musicalité irréelle. Once dead : que voulez-vous dire de plus un fois que vous avez atteint l'autre rive, quand on est mort on se tait, ce morceau est strictement musical. Le finale d'un opéra. Mort d'Isolde. Marche funèbre, comme si le héros refaisait une fois encore, du fond de sa tombe, le parcours non pas de sa vie, mais d'une existence. Grandiloquence mesurée. Sans doute ne valons-nous pas davantage. Silence. Ce n'est pas fini. Ask the dust : une dernière mélopée sur une guitare, une voix affadie comme si elle nous parlait d'outre-tombe, qui s'affirme qui ne nous révèlera rien, sinon que nous ne sommes que poussière. La musique coule et grince comme du sable qui s'écoule dans le sablier de l'éternité. Un dernier chœur à la tonalité semi-éteinte comme un adieu définitif.

    Une œuvre ambitieuse. Elle ne se livre pas de prime abord. Fortement déconseillée aux amateurs de bruits metallifères prononcés. L'exhibitionnisme sonique en est totalement absent. La trame du drame est tissée dans les nuances vocales. Tout effet de gosier est banni. La musique est comme réduite au minimum. Elle ne mène pas le bal. L'or peut enchâsser une pierre, mais la pierre est plus précieuse. C'est elle qui étincelle. Mais Anasazi a choisi un rayonnement pâle. Ce qui n'empêche en rien sa radio-activité de vous ronger insidieusement les synapses.

    Damie Chad.

     

    THE ANIMALS / 1964 ( II )

     

    Deux 33 tours paraissent dans le dernier trimestre de l'année. L'un aux Etats-Unis, l'autre en Angleterre, tous deux s'intitulent The Animals mais ne présentent pas exactement les mêmes titres. Certains d'entre eux étaient présents sur des singles précédemment chroniqués. Nous nous contentons de signaler leur présence sur tout disque ultérieur en utilisant la couleur rose. Ces parutions spécifiquement multi-nationales continueront sur les cinq autres 33 tours des Animals, ce qui entraînera la parution de divers 45 tours pour que sur les deux continents les fans puissent se procurer sur leur marché national les titres qui leur manquent. Dans de nombreux pays comme la France paraîtront des super 45 tours proposant leurs propres assortiments...

    SEPTEMBRE 64

    THE ANIMALS ( US )

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    The house of the rising sun / Blue feeling : ( ne pas confondre avec l'instrumental de Chuck Berry qui porte le même titre ) étrange morceau avec ce refrain qui résonne à nos oreilles tellement french-slow-early-sixty-style et qui contraste avec la voix blanche qu'emprunte Burdon, l'ensemble présente un petit côté pop ( pour ne pas dire variétoche ) l'on est beaucoup plus proche de la chanson sentimentale cucul la praline que du blues. A la toute fin Burdon reprend un peu d'énergie, hélas c'est trop tard. The girl can't help it : les choses sérieuses reprennent, s'attaquent à un monument, la grosse cuivrerie de Little Richard, surmontent l'obstacle, pas de filles dans les chœurs mais les boys se débrouillent pour le contre-chant et le Burdon vous débite le vocal à deux cents à l'heure, Hilton vous place un petit solo d'antho au trapézo qui fera votre régalo, profitez-en parce que c'est déjà fini sur une dernière pirouette de la baguette de Still. N'ont pas à rougir, s'en sont sortis comme des chefs. Babt let me take home / The right time : ce coup-ci, la prod a fait tous les sacrifices, ils ont offert des filles – pas beaucoup il ne faut pas non plus délirer - pour le chœur, du coup le morceau vous a un petit côté Ray Charles très releattes à roulettes, et les boys font les jolis cœurs, Burdon leur donne la réplique comme s'il leur offrait son âme, le Price vous sort un solo d'orgue qui ressemble à un gros câlin sucré, la virile basse de Chas sonne comme une corne de brume. Notons la bienséance du titre qui ne nous dit pas que le right time is the night time. Talkin' 'bout you : version courte : même pas deux minutes alors que la longue dépasse les sept, s'écoute bien, le morceau y gagne force et concision. Around and around : la même année le standard de Chuck Berry est repris par les Rolling Stones, il faut l'avouer Burdon enfonce le Jag qui chante comme un petit blanc, en plus les Cailloux qui Roulent ne se démarquent pas del maestro Chucko, le clavier de Price oblige à une recomposition formelle, les Animals vous repeignent et vous repoussent les murs, encore une fois il faut admirer le solo d'Hilton vous piaffe quelques notes aussi belles et graciles qu'une bande de girafes galopantes, les parties pianistiques de Price sont à bénir. I'm in love again : du beau monde sur l'écriture de celui-ci, Fats Domino et Dave Bartholemew, bye-bye le petit côté primesautier et fringuant du vieux Fats, pas de saxophone non plus, c'est Hilton qui le remplacera, l'orgue de Price apporte une lourdeur bienvenue à l'interprétation sans en dénaturer l'esprit. Quant à Burdon, il chante selon une ligne médiane, sur la crête, tantôt un pied intonatif sur le versant white rock, tantôt une foulée incantatoire vers le black and blues. Une merveille d'équilibre. Gonna send you back to Walker / Memphis tennessee : de petites ridelettes d'orgue c'est tout ce que les Animals se permettent d'ajouter, quand on met ses pas dans les traces de Maître Chuck on ne fait pas les malins, le Burdon retient la puissance motrice des chevaux-vapeurs de sa voix, ne va pas pousser l'affront à chanter plus noir que Chuck, bref ils sont sages comme des images, l'on eût aimé qu'ils se comportassent en gamins mal élevés. I'm mad again : c'est un peu le Boudu sauvé des eaux de John Lee Hooker, le gars qui héberge chez lui un gus dans la mouise qui pour le remercier lui fauche sa copine, mais alors que le Hooker vous raconte l'histoire sans fioriture sur une de ces rythmiques secrètement lentes qui portent l'eau de votre âme à ébullition les Animals vous la transforment en tragédie racinienne, commencent tout doux, mais très vite le drame prend de l'ampleur, la voix de Burdon donne de l'intensité au sujet, la guitare d'Hilton déraille ferme, l'orgue de Price vous a des trémolos funèbres d'enterrement, et Burdon vous pousse des cris d'assassin. I've been arond : un joyeux petit Fats pour terminer, dans le genre faut se quitter sur un sourire obligatoire, celui-ci appuyé légèrement plus que le Fats qui joue les mijaurées avec ses petits oh ! oh ! oh ! un peu ridicules et son orchestration de jouet de noël... mais enfin il faut le dire ce titre n'apporte rien à la gloire impérissable des Animals.

    OCTOBRE 64

    THE ANIMALS ( UK )

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    Story of Bo Diddley : une glissade d'orgue et l'orage du jungle sound survient on ne sait comment, Burdon vous fait le boniment, aussi bon et même meilleur qu'un camelot de la 52 Th rue, Steel tambourine à croire qu'il est dans une cérémonie vaudou, Price vous pond des tortillons d'orgue à la queue-leu-leu mais nos Animals s'amusent, abandonnent vite la trame didldleyenne pour filer à l'anglaise, tour à tour nous aurons droit aux Beatles, aux Stones, à Newcastle, sont-ils en train de commettre un crime lèse-pionniers du rock, non ils respectent l'esprit du talkin' dozens blues, le cuisent à leur sauce, s'émancipent de la copie hommagiale, un jour les Animals deviendront Eric Burdon and the Animals... Bury my body : un vieux traditionnel qu'Alan Price ne manquera pas de porter à son crédit, il est difficile de perdre ses mauvaises habitudes... L'on s'attendrait à un blues dévastateur, ce n'est pas l'optique envisagée, la voix enjouée de Burdon, les notes joyeuses de Price, la basse de Chas qui n'a rien de funèbre, tout indique qu'ils ont délibérément choisi l'option chrétien heureux de mourir et de monter tout droit au ciel sans encombre, rien de plus fun que d'être rappelé par Dieu, y a même des moments qui frisent l'hystérie désopilante, pour un peu vous l'incluriez dans un recueil de chansons pour colonies de vacances. Ont-ils voulu renouer avec la foi intransigeante des negro-spirituals ou alors méritent-ils d'être accusé d'impiété moqueuse... Dimples : un des classiques de John Lee Hooker ( Dale Hawkins s'en est fortement inspiré pour les paroles et le reste de Suzie Q ), les Animals n'en font pas trop, vous le tournent à leur manière, la voix de Burdon fait monter la pression dans la chaudière, le tutti instrumental continue à pulser la vapeur et puis l'on renvoie en arrière, Burdon trottine avec le ballon, insensiblement il accélère et soudainement il fonce droit devant évite trois adversaires qui mordent la poussière à vouloir le plaquer, et finit sa course en beauté en marquant l'essai. Du cousu main, rugby sur l'ongle. I've been around / I'm in love again / The girl can't help it / I'm mad again / She said yeah : une vieille piste pas des plus connues de Larry Williams, au moins Burdon trouve un sérieux rival à qui se mesurer, soyons juste, Burdon n'est pas la hauteur, peut-être parce qu'il n'ose pas emprunter ses cordes vocales les plus noires, Price se débrouille mieux pour remplacer le solo de sax, l'absence de cet instrument dans la formation a-t-il obligé à blanchir quelque peu l'interprétation. Les Stones la chiperont aux Animals et il faut admettre que leur version avec cet arrière-fond de guitares caverneuses qui font trembler les murs annonce l'ossature sonique de Have you seen your mother, baby, standing in the Shadow... Nettement supérieure. The right time / Memphis Tennessee / Boom boom : le morceau qui fait boum ! Burdon chante comme un tigre qui arrache à pleine voix des morceaux de viande saignante à une proie encore vivante, ensuite c'est le grand charivari, l'ultime capharnaüm, la fin des haricots verts, les Animals se sont évadés du zoo des convenances modélisées et sont devenus libres et sauvages. Around and around .

    Deux inédits que l'on retrouve su la compilation Double CD, The Complete Animals :

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    F. E. E. L : du pur Animals, mais cela ressemble à ce qu'en équitation l'on appelle un canter, un galop d'entraînement, l'inanité des paroles arque-boutée sur le mot -feel – mot magique et miracle des sixties, l'est sûr que si à l'époque vous n'aviez pas le feeling, vous étiez un tocard de la pire espèce, tout juste bon pour l'abattoir municipal, alors Burdon ( lui, ne craignez rien, il l'a chevillé au corps ) s'amuse, il filoche le feel all rigth à cent quatre-vingt kilomètres heure, module, accélère, exulte, ralentit, et les autres derrière le suivent de près, agréable à écouter, bien fait, tout propre, mais si vous ne l'avez jamais entendu, inutile d'aller creuser votre tombe au fond du jardin, par contre si à l'écoute vous ne ressentez rien... Don't want much : méritait au moins un simple à lui tout seul, attention les rockers, Rosco Gordon est l'auteur du morceau sous le titre Just a little bit, ce gazier enregistra aussi chez Sun, c'est rare mais il faut le dire Burdon pulvérise le modèle, l'a une fougue et un aisance incomparable, Gordon nous la faisait un peu en dilettante hyperdoué, Burdon vous entortille les scoubidous sur le bout de sa langue avec une facilité déconcertant. Il ne chante pas, il éblouit. Les autres suivent et vous expulsent l'orchestration avec une dextérité consommée.

    L'existe un maximum de vidéos d'époque qui proviennent de leurs passages sur différentes chaînes de télévision, ouvrez les mirettes aux alouettes, en voici deux, ne craignez rien, vous irez du pire au meilleur :

    BLUE FEELING

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    Du fond de votre kitchenette si vous aimez le kitch vous adorerez ce clip extrait du film Get yourself your College Girl, une ânerie un peu dans le style du clip tourné à leur début par Mountain... Celui-ci a été réalisé aux USA dans l'Idaho, ce que l'on appelle une mauvaise hidée, l'on acceptera même l'adjectif hideux pour le qualifier... Mon Dieu ( oui mon fils Damie que veux-tu – oh, un double djack pour me remettre – tout de suite mon fils ! ) quelle horreur, même Burdon sur son rideau rouge est le plus beau de toutes, si l'on doit en croire ces images, les filles sont plus belles et moins nunuches aujourd'hui qu'en 1964, quel troupeau insipide de dindes farcies, les acteurs surjouent de toutes leurs bajoues, quant aux Animals ils croient si peu en leur playback que seul John Steel qui n'a pas oublié son chewing gum donne l'apparence d'une fausse réalité. Le petit Eric n'arrête pas de se bidonner ce qui le rend sympathique. C'est ce que l'on appelle un émouvant témoignage d'une époque révolue. L'on comprend pourquoi les Grecs ne nous ont légué que des fragments d'amphores, ils avaient peur que l'on se moque de leurs artefacts qui nous seraient parvenus en entier.

    BOOM BOOM

    ( Live at Wembley 1965 )

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    Images en noir et blanc, public sagement assis, la scène grouille d'une multitudes de roadies qui installent le matériel, Burdon s'approche du micro et nous souhaite un retentissant '' good morning''. Chas lui fauche le micro, Steel s'installe, on attend encore un peu, et c'est parti, Burdon lance la machine, comment de ce petit bonhomme peut-il sortir une telle voix, bouge beaucoup, une espèce de danse du scalp qui se termine à genoux, imaginez un cormoran qui amerrit les ailes éployées et qui glisse sur l'eau de tout son corps dressé, Chas et Alan sont au chœur avec la conviction des pirates du rail qui trafiquent les aiguillages pour envoyer le train au fond du précipice, Hilton – lui qui a l'air si sage d'habitude - armé de sa guitare pique une crise de delirium tremens, lorsque Buron revient au micro il lève le bras comme s'il lançait l'assaut d'un régiment de cavalerie et c'est reparti pour une cacophonie rock'n'roll comme on les aime, l'on se demande pourquoi le public n'est pas en train d'incendier les tribunes sur lesquelles ils ont posé et collé leur cul...

    Damie Chad. ( A suivre, 1964 / 1965... )

     

    XXI

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

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    A peine les deux battants furent-ils ouverts que la meute des journalistes se précipita en une folle cavalcade, Vince releva avant qu'elle ne se fasse piétiner par ses collègues la petite brunette qui dans leur précipitation l'avaient renversée sans s'en apercevoir. A la décharge de nos impatients envoyés médiatiques, ceci dût-il étonner nos kr'tntreaders, on n'y voyait rien. Une espèce de brouillard opaque noyait toute la pièce. A moins de cinquante centimètres il était impossible de reconnaître l'ombre qui se mouvait devant vous. Un brouhaha indescriptible s'éleva de la meute journalistique. Tout se tut, lorsque le Chef prit la parole :

      • Mesdames, messieurs, je ne doute pas de votre déception, mais notre Président bien-aimé vous autorisera à mon signal à vous servir exceptionnellement de vos plus gros projecteurs, branchez-les, et vous verrez ce pour quoi vous avez été appelés, le Président a une importante communication à vous faire, vous pourrez la retransmettre en direct sur les chaînes de télévision, et les radios. Je vous demanderai simplement d'attendre quelques minutes que Monsieur l'Adjudant emmène avec lui son groupe de fusiliers-marins, si je ne trompe pas, c'est l'heure de leur footing matinal au Bois de Vincennes, nous sommes en démocratie et il n'est pas normal que l'on aperçoive des hommes armés tout près de notre Président.

    Dans la pénombre l'on s'agita, la porte s'ouvrit pour laisser passer les soldats, les journalistes cherchèrent en tâtonnant que les prises pour leur appareil, l'on entendit un petit rire discret je pense que c'était la main de Vince qui s'était égarée sans le faire exprès sur la petite brunette...

      • C'est bon vous pouvez allumer !

    Il y eut un oh ! de stupéfaction, les journalistes, même les plus chevronnés, n'avaient jamais vu une telle scène de toute leur carrière. En demi-cercle assis en de confortables fauteuils de velours cramoisis était rassemblé le Haut-Conseil Scientifique de Surveillance de la Pandémie, tous les plus grands épidémiologistes du pays, le fauteuil central était occupé par le Président. Juste derrière lui, le Chef était debout. Je crois que c'est la seule fois fois de ma vie où en une circonstance extraordinaire le Chef ne profitait pas de l'occasion pour allumer un Coronado. Le fait était d'autant plus exceptionnel que chaque membre du Haut-Conseil Scientifique de Surveillance de la Pandémie était en train de déguster à pleine haleine un Coronado, un 45, un des plus fumiteux, le Président lui-même extirpa son bâton de chaise de sa bouche pour prendre la parole :

      • Françaises, français, je tiens à vous révéler en direct les conclusions de la dernière réunion tenue très tôt ce matin par le Haut-Conseil Scientifique de Surveillance de la Pandémie. Premièrement une bonne nouvelle qui ravira tous les patriotes et les fumeurs de cigares, les analyses des laboratoires sont formelles. La piste du Virus répandu sous la Tour Eiffel par le Service Secret du Rock'n'roll était fausse. Pour réhabiliter ce malheureux service le Haut-Conseil Scientifique de Surveillance de la Pandémie et moi-même avons tenu à fumer en direct notre Coronado, notre pays et notre peuple ne supportent pas l'injustice, lorsque la France commet une erreur, elle avoue ses torts. Mesdames, messieurs les journaliste, nous vous remercions de communiquer cette nouvelle au monde entier. Pour vous remercier nos charmantes hôtesses remettront à chacun de vous en guise de souvenir de cette journée historique un Coronado 45. Enfin pour terminer, une deuxième nouvelle, la France n'est en rien responsable de la propagation du Coronado-virus. Toutes les analyses médicales coïncident, ce sont des touristes chinois arrivés tout droit de Pékin, pour visiter Paris, la plus belle capitale du monde, qui l'ont emmené et répandu dans les meilleurs endroits touristiques de la France. Françaises, français, je vous remercie. Vive la France !

    Le Chef a aussitôt repris la parole :

      • Mesdames et Messieurs les journalistes, le Haut Conseil Scientifique de Surveillance de la Pandémie a encore beaucoup de travail. Je vous demanderai de vous retirer au plus vite, l'agent Vince vous raccompagnera à vos voitures, nos deux hôtesses distribueront les derniers Coranados en notre possession aux amateurs. Avec l'agent Chad nous sortirons en dernier pour nous assurer qu'aucun cachotier n'essaie d'écouter les décisions secrètes qui seront prises dans la suite de l'entrevue.

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    Aussitôt dans la cour d'honneur s'engouffrèrent dans leur voitures les journalistes comme volée de moineaux du parc du Luxembourg rassasiés de la becquée providentielle prodiguée par une vieille dame qui se charge de les nourrir, les fusiliers-marins n'avaient manifestement pas encore enfilé leur tenue de sport pour leur jogging matinal, ils formaient une haie d'honneur devant notre appareil volant :

      • Présentez armes ! La voix de l'Adjudant ne plaisantait pas... Repos ! Soldats je suis fier de vous, vous avez obéi à votre Adjudant alors que ses ordres étaient, semble-t-il, en contradiction avec la mission qui vous a été confiée. Vous avez fait confiance à votre Adjudant qui vous laisse quartier libre pour le reste de la journée, sauf pour soldat Pierre, et soldat Marc qui ont ignominieusement profité de leur tour de garde pour draguer d'honnêtes demoiselles alors qu'il est totalement interdit d'adresser la parole aux passants, consigne de sécurité N°1, je tiens à le leur rappeler ! - se tournant vers nous - quant à nos héros miraculeux tombés du ciel, je les invite à prendre place dans leur taxi de la Marne volant, et à disparaître au plus vite, ce sera mieux pour vous, demoiselles, messieurs, et ces braves canidés sans qui rien n'aurait été possible, nous adopteront leurs photographies comme mascottes de notre régiment. Putedesaintevierge !

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    Notre aéronef eut un peu de mal à s'élever, la faute à Vince qui tenait sur ses genoux la petite brunette énamourée qui avait refusé de retourner à son journal. Dès que nous fûmes à une quinzaine de mètres au-dessus de la cour d'honneur, les fusiliers-marins se regroupèrent et déclenchèrent un tir meurtrier à notre encontre.

      • Enfin ! - le Chef extirpait de sa poche un Coronado – ne craignez rien, ce sont des tireurs d'élite, ils font attention à surtout ne pas nous toucher. Agent Chad, vitesse maximum, aucune crainte à avoir les images de la réunion sont déjà reprises par toutes les télévisions du monde, le SSR a de nouveau pignon sur rue !

      • En tout cas, moi j'aimerais savoir ce que c'étaient ces points rouges qui nous ont permis de nous diriger tout droit vers le palais de l'Elysée, demanda Charlotte

      • Des amis répondis-je, à droite c'était les Crashbirds, nous leur avons demandé par SMS de se poster sur le toit de leur maison du côté de Bondy, et de tirer furieusement sur leur Coronado dès qu'ils nous apercevraient, Delphine Viane et Pierre Lehoulier ont parfaitement rempli leur mission, tout comme Tony Marlow et Alicia F sur le toit de leur immeuble de Montreuil, le SSR possède des alliés dans le monde entier, qui se battent depuis des années pour le rock'n'roll, grâce à ces deux points fixes, déterminez la direction de l'Elysée n'était plus qu'un minime problème de triangulisation...

      • Moi, ce que je n'ai pas compris c'est à peu près tout, affirma Victorine, ainsi se dénommait la jolie petite brunette, et surtout pourquoi le Président a tenu de son plein gré cet étrange discours et cette mise en scène du HCSSP !

      • Ah ! charmante enfant, je suppose que vous n'êtes pas la seule et que nombre de kr'tntreaders doivent être dans votre cas ! Essayons de répondre à vos interrogations !

    A suivre...

  • CHRONIQUES DE POURPRE 486 : KR'TNT ! 486 : MARTY WILDE / BOB DYLAN / MEZZADRI BROTHERS / JARS & FRIENDS / INSURRECSOUND / ROCKAMBOLESQUES IX

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 486

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    26 / 11 / 2020

     

    MARTY WILDE / BOB DYLAN

    MEZZADRI BROTHERS / JARS & FRIENDS

    INSURRECSOUND / ROCKAMBOLESQUES 9

     

    Born to be Wilde

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    L’an passé, RPM publiait un petit coffret magique consacré à Marty Wilde : A Lifetime In Music 1957-2019. His Highlights And Rareties. En l’ouvrant, vous allez tomber sur un booklet bien dodu. Marty Wilde s’y fend d’une bien belle introduction : «J’ai toujours été dans le business, je crois bien. J’ai démarré ma carrière à l’âge de 17 ans et aujourd’hui j’en ai 80 !». Le vieux Mart reconnaît avoir souvent changé de style, mais il avoue en même temps qu’un truc est resté constant en lui : my tremendous love of music. Et quand on connaît bien les galettes de Mart, on ne peut qu’hocher la tête en signe d’assentiment. Il règne dans tout ce qu’il fait une sorte d’esprit. Mart dit avoir connu tous les studios, à commencer par le mythique Philips Studio de Stanhope Place, puis le Regent Sound sur Denmark Street et bien sûr le fameux Abbey Road rendu célèbre par les Beatles. À travers Mart, c’est toute l’histoire du rock anglais qui défile sous nos yeux globuleux.

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    Avant de devenir célèbre sous le nom de Marty Wilde, Mart s’appelle Reg Smith. Il gratte un peu sa gratte au Condor, un club de Soho, et Bart le repère. Bart parle de Reg à Parnes qui se met en chasse. Il croit le choper au club but Reg is gone, lui dit le boss, to catch his bus. Oh fuck, fait Parnes. Il n’a qu’une seule info : Reg vit à Greenwich, alors Parnes le cherche et finit par le trouver. Il sonne chez Smith. Mom Smith ouvre. Oui, Reg c’est bien ici. Come on in ! Have a cup of tea ? Have a biskit ? Parnes a le contrat dans sa poche. Il le sort, le déplie et le pose sur la table. Il tend son bic à Reg. Signe là mon gars ! And now tu t’appelles Marty Wilde. What ? Reg coince mais finit pas s’y faire.

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    Larry Parnes est un fabriquant de stars. Il débute dans le biz comme associé de John Kennedy, pas le président, non, mais le mec qui a découvert Tommy Steele. Puis Parnes se sépare de Kennedy pour monter son écurie. Mart est son premier poulain, suivi de Ron Wycherly (Billy Fury), Ray Howard (Duffy Power), Clive Powell (Georgie Fame) et d’autres moins connus comme Vince Eager, Dickie Pride, Lance Fortune ou encore Johnny Gentle. Tous bien sûr rebaptisés par Parnes. Et si Mart a très vite du son, c’est pour deux raisons : un, John Franz le prend sous son aile et deux on trouve dans ses Wildcats Big Jim Sullivan et deux des plus grands batteurs du temps d’avant, Bobby Graham et Bobbie Clark. Mart va enregistrer une palanquée de singles énormes, on y revient tout à l’heure, et une poignée d’albums plus ‘commerciaux’. Il est grand temps de redire haut et fort que Marty Wilde est l’un des plus prestigieux rockers d’Angleterre. Peut-être même LE plus prestigieux.

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    Son premier album,Wilde About Marty, est sorti en 1959, longtemps avant que tout explose en Angleterre. Philips a fait le choix d’une pochette très américaine, une esthétique qui rappelle celles des pochettes de Dion ou de Ricky Nelson. On trouve pas mal de hot stuff sur ce premier tir, à commencer par cette reprise superbe et battue à la folie du «Down The Line» de Buddy Holly qu’il chante avec des accents de Gene Vincent. Autre merveille en fin de B : «Splish Splash» - Open the door ! - Quelle dégaine ! Il finit sa B avec un joli shoot de heavy blues, «So Glad You’re Mine» qui préfigure le believe I dust my blues du Spencer Davis Group. C’est bardé de son, comme le seront tous les grands hit de Mart. Il tente de foutre le feu à Londres avec «Put Me Down» mais pour ça, mon gars, il faut s’appeler Jesse Hector. Il taille ensuite une croupière au «Blue Moon Over Kentucky». Il démarre sa B avec l’excellent «All American Boy» bien ramoné de la cheminée. Mart y croit dur comme fer et ça s’entend, en dépit des faux airs de comedy act. Il se prend pour Jerr avec «High School Confidential». Pas facile de jouer la carte des géants. Il s’en sort avec les honneurs, même si son high school bop est un peu léger.

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    C’est sur Showcase paru en 1960 qu’on trouve sa version de «Fire Of Love», un hit gluant signé Jody Reynolds que reprendra vingt ans plus tard Jeffrey Lee Pierce avec le Gun Club. Mart est un fantastique précurseur. S’ensuit un autre hit de Jody Reynolds, «Endless Sleep», assez éperdu, chanté au vieux footsteps. Mais l’album a ses faiblesses, avec les cuts plus poppy comme cette reprise d’un hit de Dion & The Belmonts, «A Teenager In Love». Il faut souligner l’incroyable qualité du son. Avec «It’s Been Nice», Mart sonne comme Buddy Holly. On retrouve chez lui le même genre de ferveur lumineuse. Mart est the real wild guy d’Angleterre, il fait tout à la voix, il explose sa petite pop. Dommage qu’on l’oblige parfois à enregistrer des navets. Il sauve son album avec «Bad Boy» puis «Johnny Rocco». «Bad Boy» est le grand hit de Mart. S’il est un hit qui illustre bien la délinquance britannique c’est celui-ci. Mart le chante à l’insidieuse carabinée. On salue aussi bien bas l’immense «Johnny Rocco».

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    Paru la même année, The Versatile Mr. Wilde manque un peu de sauvagerie. Mart fait l’impossible pour sauver son album, mais on l’oblige à chanter des cuts assez ineptes. Il doit avaler des couleuvres toutes plus grosses les unes que les autres. Alors qu’en parallèle, il ne sort que des singles magiques, comme on va le voir par la suite. Marty Wilde disposait d’un vrai potentiel. Comme Vince Taylor, il aurait pu exploser l’Angleterre, alors il fallait le calmer. Et puis soudain voilà qu’en fin de bal d’A apparaît un hit : «Amapola», monté sur un drive de big band. On se croirait chez Sinatra. C’est bombardé de son. En B, il cherche à faire venir une poule chez lui avec «Come On-A My House» - I’ll give you a candy/ I’ll give you everything - C’est du sexe pur. On croirait entendre une bite chanter. Il essaye de sauver l’album avec «To Be With You» et il finit avec un «Autumn Leaves» très Broadway.

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    C’est aussi l’époque où il participe à des comédies musicales. Il chante trois cuts dans Bye Bye Birdie, un spectacle donné dans un théâtre londonien en 1961. C’est du comedy act à la con. «Put On A Happy Face» ? Fuck you Happy Face ! Les seuls cuts intéressants sont ceux que chante Mart the crack. Il fait un brin d’Elvis dans «Honestly Sincere», se ridiculise dans «One Last Kiss» et sauve les meubles avec «A Lot Of Livin’ To Do». Mart ramène sa classe dans le to do, mais une super-connasse vient casser les noix du cat. Et comme c’est du big Broadway bash, Mart y éclot avec tout le confort qu’apporte le big band, il donne tout ce qu’il a dans le ventre. Mine de rien, Mart sauve Birdie de l’avanie.

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    Mais comme on l’a indiqué plus haut, tout le jus de Mart se trouve sur les singles. Il suffit de ramasser n’importe quelle compile de singles pour en avoir le cœur net. Marty Wilde fut sans doute le seul rocker d’Angleterre à pouvoir chanter du rockab, c’est en tous les cas ce que montre «Wildcat», visité par un solo de sax et monté sur un wild drive de slap. Même chose avec «Love Bug Crawl» et sa ferveur haletée. C’est d’une crédibilité sans nom. Encore une merveille avec «Oh Oh I’m Falling In Love», monté sur un fabuleux shake de clap-hands. On voit aussi qu’il dispose de gros moyens dans «Sing Boy Sing», pur jus de swing de jazz anglais. Il continue de faire les 400 coups avec «Her Hair Was Yellow». Avec ses singles, il sonne comme le roi du UK beat.

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    Il devient littéralement phosphorescent avec «Mysery’s Child» et il claque bien le beignet de «Love A Love A Love A», un cut emmenée au drive de slap descendant. Wow ! «Hide & Seek» sonne comme une fuite en avant et on adore Mart pour cette faculté de fuite. Encore un exploit hautement productiviste avec «Tomorrow’s Clown» : quelle atmosphère ! Mart chante ça heavy dans le mellow d’une sourde ondulation. La heavy pop de «Come Running» se montre digne de Del Shannon, même si elle est très exacerbée. «Jezebel» sonne comme le real deal, monté sur le plus impérieux des riffs. Mart chante son «Don’t Run Away» à la passion pure et il swingue son «Ever Since You Said Goodbye» comme une vieille pop, mais on se doute bien que ce genre de classe n’intéresse plus grand monde aujourd’hui. Mart ancre sa pop dans un culture trop ancienne. Et pourtant «Danny» éclate au grand jour, avec son claqué de guitare et un gusto digne d’Elvis. Mart entre dans sa période big sound avec «Little Girl» et revient au rockab pur et dur avec «My Baby Is Gone». Si on s’interroge sur le sens du mot véracité, la réponse est là. On se croirait même sur un single Meteor tellement ça sonne les cloches. On voit rarement des cuts aussi explosifs qu’«Angry» : big band for big Mart. Même chose avec le «Rubber Ball» de Bobby Vee, un son de rêve, et là, on se croirait carrément au Brill. C’est dire si ce mec a tout bon. Encore une belle attaque rockab avec «Your Loving Touch» - You don’t care for me/ Why don’t you set me free - Son attaque est celle d’une big American star. Mart est un crack. Encore un shoot d’American craze avec «When Does It Get To Be Love». Mart y croit, c’est un convaincu du to be love, il est même encore pire qu’Elvis, il enfonce sa canne dans l’ass du rock et les filles derrière font waddy waddy wahhhh. C’est un kitsch qui dépasse toutes les espérances du cap de Bonne Aventure.

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    Wow, la classe de Mart sur la pochette de Rock ‘n’ Roll ! Il chevauche une Triumph en gilet de cuir noir et fixe l’objectif avec la mine stoïque d’un rocker anglais. Fantastique allure et on peut dire la même chose de cet album produit par John Franz. Depuis le début, Marty Wilde nous habitue à une belle forme de pertinence et son «Hound Dog» ne fait que renforcer l’impression d’être en excellente compagnie. Il nous bricole une version râblée, sérieuse, corsée, bien cousue, bâtie sur un drive de basse solide et dévorant. S’ensuivent un «Summertime Blues» de caractère et un «Wake Up Little Susie» bardé de son. Marty Wilde tient bien son rang de prince des pionniers britanniques. Il fait encore un carton avec son «Rave On» et nous expédie au paradis avec le fantastique swagger qu’il met en œuvre pour trousser «Lawdy Miss Clawdy». Cet album est un monster, les chœurs de filles donnent le vertige et Marty Wilde chante ça au beat des reins. Power & hip shake ! Il attaque sa B avec un violent shoot de «Good Rocking Tonight» - I heard the news/ There’s a good rocking tonite ! - Il est l’un des plus habilités à chanter ça, il injecte du rockab dans son Rockin’. Ce mec swingue comme un démon. On entend rarement des albums de covers rock’n’roll aussi bien foutus. Comme on est en Angleterre, il adresse un gros clin d’œil aux Beatles avec une reprise gonflée de «Paperback Writer», sans doute l’un des cuts les plus difficiles à reprendre, car c’est gorgé d’harmonies vocales insidieuses. Mais Mart se marre, il s’en tire avec les honneurs. Il tape plus loin dans «The Fool» et rend un fuckin’ great hommage à Sandford Clark.

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    Difficile de se lasser d’un chanteur aussi parfait que Marty Wilde et encore moins d’un album comme Diversions, paru en 1969 et devenu culte. On entre au paradis avec «Any Day». Le paradis, c’est-à-dire la grand pop orchestrée de London 69. On sait dès l’intro d’Any Day qu’il faut attendre un miracle : Mart y explose la pop en plein ciel. Il nous plonge dans l’artefact aristocratique pop et les chœurs font «Any day !». Stupéfiant. Il enchaîne avec «It’s So Unreal», il groove son shit par l’abdomen et l’album devient demented, tout ici est supérieur : le chanteur, la prod, l’ambiance. Mart explose au-delà de toute commune mesure. Il reste dans le haut vol avec «Zobo», dans le confort d’une prod de rêve et s’appesantit sur «Learning To Love», mais en même temps, il ultra chante. C’est un timbre qui oblitère. Il attaque sa B avec «Ice In The Sun» et chante comme the real deal d’Angleterre. Il monte en pression dans «Alice In Blue», mais de façon extravagante, il use et abuse de son power, il peut exploser à n’importe quel moment. Il avance dans l’air du temps à la seule force du poignet. «Felicity» et «In the Night» sonnent encore comme des pures merveilles. Il monte comme Richard Harris dans «MacArthur Park», même power et même grandeur dans le développé. Ce mec nous balade dans son monde, sa classe le met à part. Dommage que cet album génial soit passé inaperçu à l’époque.

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    Revenons à cette petite box jaune RPM qu’on peut acheter les yeux fermés : A Lifetime In Music 1957-2019. His Highlights And Rareties. Pourquoi ? Mais parce que c’est de la dynamite. Si on ne savait pas que Marty Wilde était l’un des géants du rock anglais, cette petite box jaune est là pour le rappeler. On y trouve quatre disks et un livret bien documenté. Comme ceux d’Ace, les gens de RPM ne font jamais les choses à moitié. Le disk 1 ne propose que des singles. On y retrouve «Wild Cat». Mart y fait le rock anglais à lui tout seul, avec un solo de sax dans la folie du drive. «Love Bug Crawl» est du vrai rockab anglais joué aux guitares claironnantes. Il faut aussi entendre ce «Oh-Oh I’m Falling In Love Again» joué aux clap-hands et l’excellent «Sing Boy Sing» allumé au chant délinquant. C’est Mart qui fait la première cover de «The Fire Of Love». Il fait sa star et chante «Bad Boy» au petit développé. Il sait monter en puissance au long cours d’un cut. On se régale aussi du son de guitare dans «My Heart And I», aw c’mon Mart ! On finit par adorer sa voix. Il y a toujours un petit côté killer chez lui. Avec «Angry» et «Little Girl», il passe au drive de big band, et emmenée par un bassmatic élastique, sa pop bascule dans des tourbillons de folie douce. On note chez Mart une incroyable profusion de bons cuts. Il chauffe son «My Baby Is Gone» à la manière de Gene Vincent et revient au big jump à la Count Basie dans «Amapola». Perché au somment du beat, Mart fait le cake. Nous voilà dans le Kosma des Feuilles Mortes avec «Autumn Leaves» - I see your lips/ The sorry kisses - L’incroyable de cette histoire est qu’il bénéficie toujours d’orchestrations extravagantes. En fait, Marty Wilde était surtout l’homme des singles. Tout est extrêmement intéressant. Encore une merveille avec «When Does It Get To Be Love». Les filles derrière sont déchaînées, elles en rajoutent et Mart roucoule dans l’enfer du wa-choo-wah. Il chante tout à la régalade et sonnerait presque comme Elvis dans «Your Loving Touch».

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    Le disk 2 qui propose encore des singles se révèle encore plus diabolique, mais il faut attendre «Jezebel» pour tomber de sa chaise. Pur jus d’Angleterre de 62, une vraie pépite montée sur un gros drive de riff. Mart n’en finit plus de bénéficier d’une prod superbe. Ses singles sont généralement des merveilles palpitantes, comme ce «Honestly Sincere» joué au pire London drive. Les filles poussent des cris et ça bascule dans la folie. Dans «A Lot Of Living To Do», il duette avec une sucrée des enfers, Sylvia Tyside. Comme derrière joue un big band, nous voilà embarqués à Broadway. S’ensuit un hommage spectaculaire à Doc Pomus : «Lonely Avenue», heavy et beau, noyé d’harmo, parfaitement mythique. Puis on voit Mart évoluer avec les modes, «Save Your Love For Me» est assez pop. Il s’adapte bien aux changements. Puis il passe au heavy London rock avec un «Bless My Broken Heart» bardé de son et d’excitation. Derrière, des mecs font «Ahum !». Encore de la heavy pop avec «I Can’t Help The Way That I Feel». C’est à se damner tellement c’est bien foutu et bien chanté. Mart the cat reste en prise sur l’actu avec «Kiss Me». Il sonne juste de bout en bout. Quelques bonus viennent compléter cette impressionnante série de singles, à commencer par une version live de «Move It» avec Hank Marvin. Il faut les voir swinguer le vieux London rock. C’est très viscéral - C’mon pretty babe - Ils en font une horreur sublime. S’ensuit un «Milk Cow Blues» bien sonné des cloches. Mart rocks it out ! On trouve les racines du pub-rock anglais dans «The Price Of Love». Ils sont dedans jusqu’aux oreilles.

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    Le disk 3 propose une session Radio Luxembourg datant de 1959 suivie de quelques bonus. Dès «My Babe», Mart rocke comme un démon. C’est très sauvage, chaque départ en solo casse la baraque. Puis ils tapent une énorme version de «Blue Moon Of Kentucky». On observe une montée en puissance du slap. Mart sait rocker sa chique. On le voit encore tout casser dans «Go Go Go (Move On Down The Line)». Il a le diable au corps, il radiguette à qui mieux mieux. C’est littéralement bardé d’accès de folie. Il racle plus loin son «I’m In Love Again» au vieux rumble de rockab et après un faux départ, «My Baby Left Me» explose au firmament des reprises. Mart fait son King et le fait encore dans «Trouble». Il s’en donne les moyens. Il adore Elvis, ça crève les yeux. Il fait aussi une version bien speed de «Blue Suede Shoes». Après un mauvais départ, ils redémarrent et tout bascule une fois de plus dans la folie pure. Ils attaquent «High School Confidential» à la Jerr. Mart est réellement le real deal du rock anglais. Il faut prendre ce mec très au sérieux. On s’émerveillera aussi de ce «Need Your Love Tonight» amené au tiguili de vieux rumble américain. Quelle énergie, ces mecs jouent leur ass off. Mart rend ensuite hommage à Little Richard («Rip It Up») et à Buddy Holly (Oh Boy») - All my love ! - Fantastique ! Alors attention aux bonus, car ça démarre avec «Caterpillar». Eh oui, Mart vire glam. Il en bouche un coin. Marc Bolan peut prendre des notes ! Mart revient à la pop avec «Yesterday Started For Judy». Il ne fait que du big body of work. Il redevient plus ambitieux avec «All Night Girl», c’est plus axé sur the Wilde réputation et les oh-oh flirtent avec le glam. Watch out, here she comes ! Il tente un énorme retour au heavy rock avec «She’s A Mover». C’est stupéfiant car le son est d’une réelle modernité. Mart shakes it wilde. Paumé dans les seventies, il parvient pourtant à faire son boulot. Il reste un artiste passionnant avec un truc comme «I Love You». Ses essais tardifs accrochent aussi bien que ceux de ses débuts. On a là une vraie présence, une vraie voix et donc un authentique artiste. Il rend hommage à Roy Orbison avec une version d’«In Dreams». Bravo Mart ! On sent le fan investi de tous les pouvoirs. Il réussit même à faire exploser «In Dreams» et à monter par dessus. Voilà pourquoi il faut écouter Marty Wilde. En 1982, il passe à l’electro avec «Hard To Find Easy To Love». Pour la première fois, il se vautre lamentablement.

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    C’est là où les mecs de RPM sont très forts : ils proposent un disk 4 bourré d’INÉDITS. Après le beau heavy blues d’I told you mama («The Next Hundred Years») et un «Feel The Mood» monté sur le groove humide de «Shakin’ All Over», on file directement sur un «Since You’re Gone» enregistré en 1965 et encore plus pop que tout le Swingin’ London réuni. Mart chante à l’unisson du canasson de Carnaby. Fantastique qualité du son et de l’esprit. C’est bardé, complètement bardé. Il duette sur «Just As Long» avec une copine sucrée et un tambourin. Même le folk-rock de «Daddy What’ll Happen To Me» est indécent de qualité. Avec «Jesamine», il est encore une fois en plein dedans, il sonne exactement comme les Beatles, très 68. Marty Wilde aurait dû exploser à la face du monde. Il se prend pour Ronnie Lane avec «Riffles & Firewater» et il a raison. Mart suit l’évolution. Ses démos sont très pop, très décidées à en découdre. Il chante la heavy pop très orchestrée d’«It Didn’t Have To Be This Way» avec l’aplomb d’un crooner au poitrail velu. Et voilà qu’éclate la fantastique pop de «Sunny St Louis». Il s’y affirme encore comme l’un des géants du rock anglais, il plie sa pop en quatre. Il sort des harmonies vocales dignes de l’âge d’or des Beach Boys. «A Place In My Heart» est plus capiteux, car chanté du haut de la falaise de marbre, mais vraiment chanté. Il y a chez Marty Wilde la justesse de ton qu’on trouve chez Fred Neil, Jimmy Webb ou Emmit Rhodes. Il revient à la chère folie de craze avec «Leaping About». Non seulement il peut allumer un cut, mais il sait aussi en faire un hit avec deux fois rien : un bout de stomp en caoutchouc, une voix et un peu de nostalgie. Il fait ensuite du bubblegum avec «Jungle Jim», et casse ensuite la baraque avec «I’m A Mover». On se croirait chez Free. Il explose son Mover en parfait glamster, aw right ! Il fait carrément du proto-punk avec tous les réflexes de bon aloi et s’il y a un mec en Angleterre qui est autorisé à proto-punker, c’est bien Marty born to be Wilde. Hey babe, I’m a mover. Il va shaker son move jusqu’à la fin des temps.

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    L’un des meilleurs investissements que l’on puisse faire avec le coffret magique RPM, c’est cette compile intitulée The Wildcat Rocker, parue en 1981. Au dos, Nick Garrard se fend d’un texte superbe : il y raconte l’histoire de Reg devenu Mart, grâce à Larry Parnes, qui le découvrit au Condor, à Soho. Dès le «Wildcat» d’ouverture de bal d’A, on est conquis. Mart dispose d’une merveilleuse niaque. Il y a un peu d’Elvis en lui et du brit grit dans le déhanché. Très haut niveau, sens aigu de l’insistance et de la persistance. Encore un joli shout de wild rock avec «Put Me Down». Mart does it right, il sait tempérer le suspense. On le voit faire du Brit Elvis dans «So Glad You’re Mine» et «Danny». Il sait dérouler un déroulé. En B, on tombe sur un «Bad Boy» qui date de 1959. C’est une merveille de profondeur wildy. Mart chante à la délicatesse pervertie. Il nous fait ensuite le coup du big band blast avec «Angry» et revient à Elvis pour «Your Loving Touch». Marty Wilde est ce qu’on appelle un artiste complet.

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    Ce serait aussi une grave erreur que de faire l’impasse sur ce Solid Gold, paru en 1994. Pas parce qu’il porte un nom clinquant, mais parce que Mart y fait une délicieuse cover de «Dedicated To The One I Love». Il parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, celui du temps des lilas qui couraient jusque sous les fenêtres des Shirelles et des Mamas & the Papas. Mart en a l’esprit et les chœurs, mais avec le power d’Angleterre et tout le vibré de glotte dont il est capable. C’est pourri de feeling, il swingue son chat perché au déhanché magnifique. On se régale aussi du «Dancing In The Dark» et de la fantastique tension chantante. Dommage que ce soit du Spingsteen. Il fait un «Billy Fury Tribute» plus rococo et on voit avec «Shane» qu’il a du ventre à revendre. Il duette avec sa fille Roxanne sur «I’ve Learnt It All To You» et rend un fier hommage à Elvis avec «Little Sister». Donc voilà.

    Signé : Cazengler, Marteau Wilde

    Marty Wilde. Wilde About Marty. Philips 1959

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    Marty Wilde. Showcase. Philips 1960

    Marty Wilde. The Versatile Mr. Wilde. Philips 1960

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    Marty Wilde. Diversions. Philips 1969

    Marty Wilde. Rock ‘n’ Roll. Philips 1970

    Marty Wilde. The Wildcat Rocker. Philips 1981

    Marty Wilde. Solid Gold. Select Records 1994

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    Marty Wilde. A Lifetime In Music 1957-2019. His Highlights And Rareties. Box RPM 2019

     

    Dylan en dit long - Part One

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    C’était au temps des disquaires, voici plus de quarante ans. Les kids entraient dans le bouclard et commençaient à fureter. Le vieux disquaire en interpellait un de temps en temps :

    — Tu cherches quoi mon gars ?

    — Du pounk !

    — Regarde dans le bac, à ta gauche. Mais pourquoi n’écoutes-tu pas Dylan ? Ça te plairait beaucoup.

    — Chais pas ! Comprends ‘ren de c’qui dit !

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    Le malentendu ne date pas d’hier. En France, la fameuse barrière du langage n’a pas arrangé les choses. Le gros avantage qu’ont les Français sur les Anglais, c’est de pouvoir écouter du rock sans comprendre les paroles. Et Dylan sans les paroles, ça fonctionnait bien au temps de «Like A Rolling Stone». Mais le vieux disquaire s’y prenait comme un manche. Il essayait de vendre Bob Dylan à des kids en perfecto qui ne rêvaient que de délinquance et non de littérature anglo-saxonne.

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    Car c’est là que se trouve le fond du problème. On voit Bob Dylan comme une rock star, alors qu’il se situe complètement à un autre niveau. Dans son dernier numéro, Mojo nous entraîne encore plus loin dans le malentendu. On sent que Dylan nous échappe complètement, mais on n’imagine pas à quel point. Les plus raisonnables d’entre-nous le percevront comme un poète universaliste, un équivalent américain de Léo Ferré, une sorte de messie rimbaldien passé maître dans l’art de l’ellipse prophétique. Mais l’œuvre est tellement considérable qu’elle déclenche d’autres phénomènes, des phénomènes incontrôlables de type Fantasia. Dylan est certainement l’artiste contemporain qui a généré le plus de vocations d’exégètes. D’ailleurs ça a fini par lui poser un problème, car un nommé Alan Jackson raconte que Dylan n’accepte les interviews que dans la pénombre et sans contact visuel. En gros, regarde tes pompes et évite les questions trop pointues - Don’t be a superfan, c’est ridicule et c’est triste - Mais vous les connaissez les exégètes, plus vous leur dites de fermer leur boîte à camembert et plus ils s’excitent. Rien ne pourrait empêcher ces fanatiques de voir Dylan comme l’incarnation humaine d’un dieu dont chaque parole serait chargée de sens. Dans l’Odyssey de Mojo, un certain Grayson Haver Currin nous tartine quatre pages d’exégèse bubonique sur Rough And Rowdy Ways, le nouvel album de Dylan. Une façon de nous dire que si on ne lit pas sa fucking exégèse, on passera à côté de l’essentiel. Il a raison, on est vraiment trop cons. C’est en gros ce que le vieux disquaire disait aux kids en perfecto, pas intentionnellement bien sûr, mais le résultat est le même. T’es trop con pour écouter Dylan. Alors que de toute évidence, Dylan a choisi le rock pour justement pouvoir s’adresser au plus grand nombre. Comme John Lennon, il avait mesuré l’ampleur du rock en tant qu’outil de propagation d’une révolution pacifique, un outil bien plus efficace que la politique, la littérature ou le cinéma. Ça a bien failli marcher.

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    Chacun voit Dylan à sa façon, et c’est toujours intéressant. Aux yeux des gros veinards qui ont grandi avec les sixties, Dylan eut le même impact en 1965 que les Stones et les Beatles : à la radio, «Like A Rolling Stones» rivalisait de grandeur tutélaire avec «Satisfaction» et «Day Tripper». On parle bien sûr du Dylan électrique, car l’early Dylan passait mal, trop folky folkah pour des oreilles habituées à Jerry Lee et Little Richard. Mais la sauvagerie de «Tombstone Blues», oh yeah ! D’ailleurs, dans l’Odyssey, on trouve cet extrait du book d’Al Kooper (Backstage Passes & Backstabbing Bastards, un book pas très bon) dans lequel Kooper raconte comment il s’est retrouvé au studio Columbia en 1965 pour les sessions d’Highway 61 Revisited. Un coup de pompe dans la porte du studio et voilà qu’arrive Dylan suivi d’un mec qui porte sa Telecaster sur l’épaule, comme un fusil. La Tele est trempée car dit Kooper il pleuvait à verse et le mec s’appelle bien sûr Mike Bloomfield. Et puis il y a cette recommandation que fait Dylan à Bloomy et qui n’est pas dans Mojo : «Don’t play no B.B. King shit !». Le message est bien passé. Comme l’ont fait les Stooges, Jimi Hendrix et le Velvet, Dylan lègue à la postérité une trilogie d’albums magiques sur laquelle on reviendra : Highway 61 Revisited, Bringing It All Back Home et Blond On Blonde. Pour Mick Farren qui le vit à l’Albert Hall lors de sa première tournée anglaise, Dylan c’était Jesus Christ on a Harley (on trouve deux pages somptueuses sur Dylan dans Give The Anarchist A Cigarette, l’une des bibles du rock anglais). La copine Bémolle qui aimait aller au théâtre et «faire» des expos au Grand Palais n’écoutait pas beaucoup de rock, mais elle avait acheté deux albums dirons-nous tardifs de Bob Dylan, Time Out Of Mind et Love And Theft. Elle ne savait pas dire pourquoi elle aimait tant ces deux albums, mais lorsqu’on rentrait tard d’une virée en ville, on les écoutait religieusement tout en descendant une dernière bouteille de pif. Dylan on le sait a toujours plu aux intellos et aux intellotes pour des raisons mystérieuses. Le charme discret de la bourgeoisie ? Va-t-en savoir. Et l’autre jour, on écoutait justement Rough And Rowdy Ways chez un bon copain qui venait d’en faire l’emplette et qui ne savait pas non plus dire pourquoi il aimait le vieux Dylan. Recherche d’un confort culturel ? Goût prononcé pour la chaleur d’une voix ravinée ? Va-t-en savoir. Du coup le vieux Dylan servit de musique de fond pendant le repas, un sort auquel il devait être habitué, après tout. Mais l’album ne remplissait pas son rôle qui était de détendre l’atmosphère, il générait au contraire un léger malaise. Car s’il est un artiste qui ne supporte pas qu’on cause pendant qu’il chante, c’est bien Dylan. On notait par instants que sa diction s’était améliorée, ce qui rendait encore plus pénible le fait de ne pas pouvoir l’écouter plus attentivement en sirotant quelques bons verres de pif.

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    Du coup, l’idée d’un rapatriement de Rough And Rowdy Ways commençait à germer, bien dopée par la parution du Mojo pré-cité, mais la tartine du brave exégète nous ramène au point de départ : que peut-on piger sans l’aide d’un exégète ? Pas grand chose. De ce point de vue, Currin est encore pire que le vieux disquaire. Pour pallier notre manque d’érudition, il nous explique par exemple que «False Prophet» sort tout droit d’une B-side Sun de Billy The Kid Emerson. Il nous replonge alors le museau dans les Sargasses du Theme Time Radio Hour. Il dit même que «False Prophet» est le condensé d’un épisode entier du Theme Time Radio Hour. Débrouille-toi avec ça. Et ce n’est pas fini car il en rajoute une couche en affirmant que «Murder Most Foul» sort à la fois de Bud Powell, de Burt Bacharach, des Eagles, de St James Infirmary, il dit aussi que Dylan accouple Gene Vincent et Carl Perkins, Al Green et Libba Cotten.

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    ( Statue d'Edgar Poe / Boston )

    C’est ça les exégètes, tu leur donnes la parole et t’es baisé. Ce gros malin de Currin nous rappelle ce qu’on savait déjà, que Dylan est un juke-box à roulettes. Mais aussi une bibliothèque à roulettes, et là, ça explose, comme une crise de dysenterie : le poète irlandais Anthony Raftery, William Blake et Edgar Allan Poe surgissent dans «I Contain Multitudes», puis Currin accuse Dylan de faire son Frankenstein en charcutant Shakespeare, la Bible, Steinbeck, Ovide et les Mémoires de César pour en faire des ready-made à la Duchamp, mais là il se vautre, car Duchamp n’a jamais rien charcuté, au contraire. Alors, on s’y perd, avec toutes ces conneries. Ce délire référentiel s’inspire de toute évidence du passage de Chronicles où Dylan décrit de mémoire le contenu d’une bibliothèque, mais c’est à un autre niveau. Nous y reviendrons.

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    L’autre fou continue. Il dissèque «Mother Of Muses» comme une grenouille en cours de sciences nat’ et y trouve Mnémosyne, la mère des neuf muses de la mythologie grecque, puis Calliope, mère d’Orphée, comme s’il voulait attirer l’œil de Damie Chad. Dans «Goodbye Jimmy Reed», Currin compte combien de fois Dylan cite le nom de Jimmy Reed. Côté paroles d’évangile, Currin ne mégote pas. Il conclut son paragraphe Jimmy Reed en nous rappelant que nous ne sommes pas éternels - sur un album qui se joue de la vérité, la mort reste le seul fait intangible - ça, on est bien d’accord. Et puis voilà une autre parole d’évangile, cette fois signée Dylan : «Key West est l’endroit où il faut être/ Si vous recherchez l’immortalité.» Du coup on est complètement paumé.

    Signé : Cazengler, Bob Dilemme

    A Bob Dylan Odyssey. Mojo #325 - December 2020

    *

    Dans notre livraison 316 du 16 / 02 / 2017, nous présentions Croquis Rock & Roll d'Ange-Mathieu Mezzadri, publié aux Editions Autres Temps un recueil de poèmes-rock récupéré dans un bac à soldes – c'est dans le sable des rivières que l'on trouve les pépites d'or – un texte fort, pas du tout du gnan-gnan rock'n'roll, l'était bien spécifié qu'il existait aussi un cd, mais un petit malin n'aimant pas lire ( on le déplore ) mais adorant le rock ( on le félicite ) avait dû le subtiliser, nous ne lui en voulons pas, surtout si son geste s'inscrivait dans une démarche de réappropriation économico-culturelle. Et ce matin, au courrier, le chien rentrant de me promener, le susdit CD. Pour ceux qui ne souscrivent pas à l'existence des anges-gardiens, sachez que le mien s'appelle Ange-Mathieu Mezzadri.

    CROQUIS ROCK & ROLL

    poesie rock

    MEZZADRI BROTHERS

    ( Editions Autres Temps / 2016 )

     

    Ange-Mathieu Mezzadri : textes + voix, harmonicas, percussions / Olivier Mezzadri : musique, basses, guitares, autres instruments.

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    La race des seigneurs : vous attendez le rock'n'roll, apparemment il y a plus fort, la poésie seule. La musique est aux abonnés absents. Elle est juste reléguée au bout extrême des vingt-six laisses vocales, un bruit bref de ressort, qui ne s'attarde pas. Façon de rappeler le crissement de la page que l'on tourne. Surprenante cette voix, tranquille, sereine, agréable, dépourvue de la moindre convulsion. Elle n'est pas au diapason des timbres rouillés du blues originel, lui manque même l'ampleur lyrique que l'on serait dans notre droit d'imaginer. Non, une coulée pure, l'allure de la glace qui fond au fond de l'assiette et avance sans se presser, ou alors en élevant notre point de vue, un astronaute qui de très haut observerait cette traînée flamboyante de limace qui se hâte avec lenteur sur la courbure de la terre. Mais si vous descendiez à l'endroit exact de cette douce avancée lumineuse, vous seriez confrontés à une lave de volcan qui dévale les flancs abrupts d'une montagne, qui se rue à travers champ, sur les hameaux, sur les villages, sur les villes qui s'engouffrent en torrents de feux dans les larges avenues et détruisent, voitures, maisons, hommes, femmes, enfants, dans un bruit apocalyptique étourdissant. Tout ce qui précède n'est qu'une image. Nous pourrions la qualifier de nietzscheénne, en le sens où elle prophétise notre passé et notre futur. Car notre futur a débuté, il y a très longtemps, au moment où l'homme s'est retiré de l'homme, le barbare est dans l'être humain, les hordes faméliques ne viennent qu'après, une fois que l'on s'est endormi dans notre confort, que l'on n'a plus l'envie de préserver l'empire que nous avons bâti. La voix épelle calmement la généalogie de nos errements, de nos démissions, que personne ne veut plus entendre. Ce n'est que sur la piste douze que d'étranges reptations bruiteuses atteignent nos oreilles. La race des Seigneurs n'est que celle des esclaves. Les punks nous disent le même message, lorsque ils lancent le slogan, no future. Mais cela se passe quand les chiens ont déjà envahi le royaume, depuis longtemps. Ange-Mathieu Mezzadri se réclame de la pensée mythologique de Jim Morrison. Nous sommes à l'exacte moitié du poème, la voix craquelée, se brise de temps en temps, sacrifices humains, meurtre et viols, cela viendra. Ce que nous n'avons pas su garder, d'autres le rebâtiront, et la roue tournera et reviendra. Pirouette finale désinvolte, tout recommencera à la fin du voyage. L'homme ne peut se tenir droit trop longtemps. Sa propre stature l'écrase. Il finira par ramper comme l'esclave en devenir. qu'il a toujours été. Dio Vi Salvi Regina : flûte ! Intermède lyrique, une flûte agreste s'élève, Que Dieu te garde reine de la patrie, ou God save the queen, c'est du pareil au même. Pipeau ! Les racines du militant corse Mezzadri affleurent. Bordel mexicain : que serait le rock'n'roll sans le sexe. Pas de panique, la terre est partout un bordel mexicain, si vous vous ennuyez à mâchonner des sexes, essayez le viol et le meurtre. Faut bien pimenter la vie. C'est qu'à force de vivre dans le bordel généralisé de la planète, l'on ne sait plus à quels seins se vouer. Nous n'inventons que des dieux obscènes et n'aimons que les pacotilles manufacturées. Quelques bribes d'harmonica ne nous rassurent guère sur l'état de notre guerre intérieure que nous avons déjà perdues. Les idoles sont à déboulonner, Oscar Wilde, et les politichiens et le poëte aussi parce que le réel phantasmatique arrivé et avéré est bien plus dense et coruscant que le plus beau de ses vers. Ne gêne plus dans le paysage. L'inversion des valeurs marche dans les deux sens. Marché aux puces : si vous avez peur d'entendre l'horrible révélation de votre présent, reportez-vous aux Tableaux Parisiens de Baudelaire, il est indéniable que les fleurs du mal de ces croquis rock & roll dégagent des senteurs plus âcres, qu'elle dévorent les êtres sans rien leur laisser que leurs misères, qu'il n'y a pas d'issues, ni de pardon, ni de rédemption, ni de remords, uniquement de la cruauté aussi flasque que vos désirs. Le marché aux puces n'est qu'un marché d'esclaves. On y vend les chaînes que certains ne parviennent même pas à s'acheter. Au bout de l'horreur que reste-t-il si ce n'est ce Chroma : dépassé que l'on surnomme rock & roll, c'est fou comme une bouffée de hard mélodique fait du bien au moral. '' Rock is dead '' : le rock est mort, nul besoin de longues et minutieuses analyses musicales, le métro et ses bataillons d'esclaves disciplinés le démontrent à l'envi. De temps en temps une courte plage musicale, style générique film de gangsters-rock, l'on espère encore la révolution et ses brutalités, mais ce sont les hordes barbares de bikers, ce n'est plus l'ange Mezzadri, mais les anges de l'enfer qui châtient les chapons de bourgeois châtrés par leur propre goinfrerie, le générique s'étoffe, l'envie de tuer, d'assassiner, le goût du crime odieux, les vainqueurs le proclament, mais tout cela n'est peut-être que phantasmes qui s'avachissent dans la fumée des joints. Le rock est-il résurgence des antiques légions romaines, les hordes chevelues qui se constituent sont-elles le signe d'une renaissance, la musique rythmique embraye la piste, se diversifie, se colorise, la voix sur la guitare, et toute une imagerie séculaire de violence tournoie sans fin, est-ce cette brutalité que charrie le rut du rock ? Bouncing balls : rififi de riffs infinis.

    Peu d'instrumentation en fin de compte. Pourtant vous ressortez de là, comme de l'écoute d'un disque de Metal particulièrement agressif. Encore plus surprenant les textes sont formés de poèmes rimés et la lecture mezzadrienne fait tout pour que la rime classique claque à vos oreilles. Pas question qu'elle passe inaperçue. Ces Croquis Rock & Roll, n'ont pas à mon humble connaissance d'équivalent dans le rock'n'roll français, seuls quelques rappeurs se sont aventurés à de telles violences, s'il fallait les rattacher à un moment précis de la lyrique française, ce serait aux évocations des civilisations écroulées de la poésie parnassienne, l'adresse Aux Modernes de Leconte de Lisle et aussi aux trois volumes du Vicomte de Guerne intitulés Les Siècles Morts. Toutefois les alexandrins rutilants du Parnasse ont une ampleur, un poids et un impact bien plus puissants que les vers trop banvilliens d'Ange Mathieu Mezzadri. Aurions-nous perdu jusqu'au sens de la beauté nous soufflerait Ange Mathieu Mezzadi...

    Ce disque ravira ceux qui aiment errer aux lisières, aux confins, aux orées qui débouchent sur d'autres mondes.

    Damie Chad.

     

     

    *

    Les groupes de rock apparus dans Kr'tnt ! le temps d'un concert ou d'un disque continuent leur chemin de leur côté, profitons de ce confinement dépourvu de prestations scéniques pour rendre visite sur leurs sites à des artistes qui nous ont vivement impressionnés les mois ou les années précédentes, après Blondstone et Justin Lavash, nous quittons la douce France pour la Russie tumultueuse.

    Le concert de Jars à la divine Comedia le 21 novembre 2019 ( voir notre livraison 439 ) fut un des plus beaux et des plus violents auquel nous avons assisté, le surlendemain Jars était rentré à Moscou. Pour ceux qui aiment à chercher noise à la noise-music le bandcamp de Jars vaut le détour. Nous chroniquons ici, les deux derniers enregistrements qui ont été ajoutés depuis notre précédente visite. Nous y joignons une vidéo prise sur You Tube. Jars n'est ici représenté que par Anton Obrazina ( parfois transcrit Obrazeena ) son guitariste, en compagnie à chaque fois d'un ou plusieurs partenaires aussi aventureux que lui dans la transe sonique.

    Pitié pour nos traductions sûrement aberrantes puisque nous ne connaissons pas la langue de Lermontov...

     

    LIVE AT T-MODEL

    MASSACRE

    Anton Ponomarev +Anton Obrazeena

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    Enregistré le 12 Octobre 2018 au Model-T, club situé à Moscou. Anton Ponomarev saxophoniste et responsable du matériel électronique, Anton Obrazeena à la guitare.

    Soif nauséabonde : en douceur si ce n'est ces poinçons de cordes suivies de tirs électroniques sur vos zones de réception auditive, tout cela reste très doux, malgré ce semblant de saxophone réticent qui rampe dans un souterrain, au loin de terribles explosions et des rafales incessantes de kalachnikovs, qui êtes-vous en train de tuer sur votre écran mental, cela a l'air de se passer si loin, un film de guerre qui passe à la télévision dans une autre pièce, toujours cette étrange douceur, le saxophone crie comme une plaque de zinc que le vent secoue, cela s'accentue, et ce rythme de lenteur qui emmène avec lui cette impression d'ouate, alors que le sax s'égosille, lance-t-il un appel au secours ou imite-t-il le bruissement insupportable à votre esprit de votre âme qui rampe sur le plancher, maintenant il s'époumone tel un asthmatique qui manque d'air, fermez les yeux, décrochez mentalement, c'est ainsi que l'on survit dans l'insupportable angoisse de la frousse à vos trousses. Le danger se rapproche, le sax crisse, imite le grincement des patins à glaces, maintenant le son se coule à vous, vous enlace, impossible de s'en défaire, une spirale qui s'enroule autour de vote corps, le serpent prêt à insinuer sa langue chignole dans votre cerveau, est-ce vous qui poussez ces cris de porc égorgé toujours sur cette lente procession, que vous identifiez à votre propre marche funèbre, des moustiques géants s'acharnent sur votre cadavre et vous ressentez leurs trompes fouisseuses qui n'arrêtent pas d'excaver le néant dans le réseau de vos artères, le son avance, très lentement à la vitesse d'un rouleau compresseur, d'une charge de cavalerie au pas, dont vous ralentissez la vitesse sur votre magnéto, ne ne sont plus qu'une armée de fantômes hurlants qui accourent sur vous implacables, vous martèlent les chairs et vous entendez vos os crier sans fin, une agonie avec ses montées d'adrénaline, l'animal inconnu qui progresse au loin dans le terrier de Kafka, l'anéantissement se rapproche, le son devient plus ample un générique de fin du monde, ce bruit de robinet est-ce la vie qui vit ou l'eau du néant qui s'engouffre en vous et vous remplit comme une outre pour que vous puissiez passer outre, bruit de poutrelles découpées au chalumeau, résonance de cordes de guitare pour vous ramener à la mort. Coups de maillets incertains, tout s'amenuise. Battements ultimes de la mécanique d'un cœur détraqué qui s'arrête définitivement.

    Magnifique, splendide oratorio qui se prêtera à toutes les variations les plus aventureuses de vos idées noires. Ode à la mélancolie humaine.

    MASSACRE

    Anton Ponomarev +Anton Obrazeena

    29 octobre 2018 / Vidéo

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    Le même morceau – simplement un extrait de huit minutes -enregistré non pas dans la salle de réception du Kremlin, mais dans la cuisine désaffectée du Manor, vidéo enregistrée le 19 décembre 2018, ce qui explique sur les toutes premières images, ces visions fugitives de fresques ou d'icônes décolorées et ces empilements de casiers de tasses à café. Dans les notes nous apprenons que Anton Ponomarev est saxophoniste dans le quartet d'avant-garde-no-jazz nommé Brom ce qui signifie Bruit. Massacre se situe dans la suite d'un Stephen O' Malley – experimental metal-doom-death ou d'un Mats Gustafsson saxophoniste explorant avec son instrument les poreuses frontières aux limites du rock, du noise et de l'expérimental...

    Cette vidéo permet de pénétrer dans la cuisine de ces faiseurs de sons qui travaillent la pâte sonore. Rien de bien spectaculaire, des espèces de bricolos plutôt relax, Ponomarev agenouillé à terre qui manipule les boutons de tout un jeu de pédales, l'a un petit air affairé d'ado sur sa console de jeu, l'on se demande si toutes ces actions répondent à une espèce de partition mentale ou s'il se laisse guider par l'inspiration et le hasard. Obrazeena un œil sur la guitare posée à plat sur un réchauffe-plat et l'autre sur son outillage pédalesque, parfois du doigt il influe sur le son en touchant une corde. Maintenant il est debout, passe ce qui ressemble à un simple couteau de cantine sur l'ensemble du cordier, même s'il a plutôt l'allure d'un pâtissier s'affairant sur une plaque de cuisson prête à être enfournée il ne fait que répéter l'antique geste des vieux bluesmen caressant de leur goulot de bouteille cassée leur guitare et plus avant peut-être ces premiers fils de fer que les noirs fixaient sur le mur en planche de leur baraque pour par frottements successifs en tirer des effets de dégradations sonores. Ponomarev s'est redressé, il souffle maintenant à plein gosier dans son saxophone, se courbe en arrière, se penche en avant, cherchant à expulser le mamba noir du son tapi au fond de ses entrailles. Des vagues successives nous assaillent, des avions de chasse se perdent dans le lointain, vision finale d'une planète fluctuante qui n'est que l'eau d'un bac à vaisselle qui remue, les bulles produites par la mousse d'un produit nettoyant, évoque la multitude des astres de la voûte ouranienne, un reflet mallaméen de lumière scintille comme s'il voulait témoigner que s'est d'un astre en fête allumé le génie...

    JARS + POZORI

    ( Mai 2020 / Enregistrement maison )

    Anton Obrazeena + Lena Kuznetsova

    ( Bandcamp Jars ou Pozori )

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    Pozori est un groupe de Tomsk ( région sud-est de la Sibérie ) que l'on pourrait qualifier de post-atomic-industrial-noise. D'après ce que nous avons pu glaner comme renseignements ils tournent pas mal et leur premier album Sexiste publié en février 2019 fut décrété disque de l'année. Nous ignorons par qui. Pozori signifie Honte, peut-être les synonymes Opprobre et Confusion qui sonnent beaucoup mieux en français rendent-ils comptent de la signification du terme russe ?

    Violences domestiques : lourde rythmique, ronflements de guitares, Anton s'occupe de la boîte à rythme, de la guitare, de la basse et du synthétiseur, Lena Kuznetsova s'est contentée de chanter – on ne peut pas dire que le partage des tâches soit très égalitaire, mais je n'en dirai pas plus, sa voix grave n'incite pas à la plaisanterie. Revendication féminine ! A son timbre de colère rentrée et d'ironie amère vous comprenez qu'elle règle ses comptes, est-ce une diatribe théorique ou la mise au point d'une aventure individuelle, nous pencherions plutôt pour la première hypothèse, d'après ce que nous avions pu comprendre, certains termes – c'est elle qui écrit les textes - proviendrait d'une vieille comptine russe. La typologie du morceau n'a rien à voir avec les expérimentations de Massacre. Ici nous sommes prêts d'une chanson non pas réaliste mais qui emprunte à la mimétique du réel des effets d'une écriture empreinte d'un formalisme que nous définirons de russe pour rester fidèle à la couleur locale. Homme conventionnel : musique davantage indus, et la voix de Léna presque mutine qui jure bien avec le son touffu, un long pont d'orchestration plus rock, mais l'indus reprend, tambourinades davantage appuyées, puis tapotements et nouveaux éclats, Léna la sorcière jette ses imprécations, le morceau se termine en une terrible jactance répétitive. Léna crache son mépris aux hommes engoncés dans les archétypes du machisme.

    Ce qu'il y a de bien avec les groupes russes, c'est que dès que vous commencez à vous intéresser à l'un d'eux, de nouveaux se présentent, la scène rock-punk-metal-noise a l'air d'être en pleine ébullition. L'entraide et la collaboration semblent être les moteurs essentiels de cette mouvance underground. Quant à Jars, j'adore leur slogan '' Nous sommes Jars, vous êtes pires que nous'' ils sont sur la deuxième compil d'InsurrecSound ( voir ci-dessous ) et le 11 décembre 2020 ( enfin, incroyable mais véridique, une évènement musical qui n'est pas reportée sine die ) sortie de leur nouvel album !

    Бытие на нож

    ( Sur le fil du couteau )

    JARS

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    Difficile de quitter Jars. Jamais j'arsrrête ! Une dernière vidéo. Pas bien longue. Dépasse de dix secondes les deux minutes. Assez pour faire écrouler la tour de Pise. Enregistré en live au D. T. H. studio. Frustre. Très frustre. Toutefois rien de misérable. Rien de sale. Le frustre russe cancérique n'a rien à voir avec le frustre visqueux de chez nous. Il est froid. Glacé. Inaltérable. Peut-être pour le comprendre faut-il d'abord regarder la vidéo Meht. Une mise en scène. Des jeunes aux regards figés. Engoncés en eux-mêmes. Qui entrent dans un club. Jars joue. Sur la piste des jeunes vus de dos pogotent, autour d'eux des regards vides qui regardent. Nous en suivons un encore plus frigorifié que les autres, comme s'il était saisi dans un énorme glaçon-cercueil-mental invisible. Nous le suivons de chez lui au club et puis du club à chez lui. Une vie vide dans un appartement vide. Ne cherchez pas? c'est un flic. Un homme pétri de contradictions, un militaire en mission d'observation et de surveillance ? Nous n'en saurons rien. Il est comme tous les autres. Qui est qui ? Le clip fait froid dans le dos. Rien d'exceptionnel au niveau filmique. Ce n'est pas Eisenstein qui tient la caméra, mais la vidéo vous pétrifie. L'on sent une société d'une dureté extrême. La méfiance est partout. Sur la piste rien à voir avec les pogos festifs de chez nous. On ne joue pas collectif. Quelque chose de dur et de cassant. Une société de surveillance. Chacun dans sa paranoïa. Donner à chaque instant l'illusion que l'on ne pense pas plus haut, et même pas plus bas, que le geste que l'on est en train de faire. Sur le fil, sur la crête, prêt à tomber, c'est cette musique que joue les Jars. Puissante, simple, hypnotique, et en même temps le tourbillon de lave, le volcan qui bout en vous, qui éclate, mais celui qui est à côté de vous, qui subit les mêmes éruptions ( peut-être ), ne doit pas le savoir, ni s'en apercevoir, ni même le subodorer. Une musique chargée de haine. Tout ce que vous tuerez ( en vous et chez les autres ) vous rendra plus fort.

    Positivons : vu la vitesse avec laquelle notre société se transforme en état policier, nous aurons bientôt nous aussi des groupes aussi puissants que Jars.

    Damie Chad.

     

    INSURRECSOUND

     

    What is it ? It's french my dears ! C'est quoi au juste ? Une association ou un label , les deux mon général. D'abord une association, et comme il n'y a pas de hasard en ce bas monde, elle vit le jour à Montreuil, première cité rock de France. Elle a été fondée le 02 juillet 2020. Elle n'est pas vieille. N'est pas née comme ça par opération du Saint-Esprit, car même le chiendent et l'ivraie ont besoin de mauvaises graines pour proliférer. Une idée qui traînait dans plusieurs têtes pas tout à fait la même à chaque fois, mais qui se débrouillait pour toujours souffler du même côté.

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    Le nid originel de prolifération est connu. Kr'tnt n'a pas failli à sa mission d'information, on en rendait compte, une analyse fouillée dans sa livraison 472 du 09 / 07 / 2020, juste avant les vacances d'été, une compilation de quatorze titres, rien que l'appellation générique aurait dû vous mettre le mammouth à l'oreille, Nasty Nest, une espèce de nidification de frelons non asiatiques, que du punk-rock bien de chez nous. Elle est arrivée un peu en retard because le confinement, mais in nitro veritas comme disait Jules César.

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    L'appétit vient en faisant la cuisine. L'objet était trop beau. L'envie de recommencer s'est manifestée. Une seule pomme vous pourrit tout un panier, c'est bien connu. En mieux et en couleur. Donc création d'une association et germination spontanée d'une seconde antho. Exit le blanc et noir pour la couve et le dedans, un truc flashy qui vous arrache les yeux, on a surélevé de quatre étages le nombre des titres, et puis l'on a vu grand, fini les gaulois, le côté Astérix franchouillard dépassé, le concept a été élargi, pas encore à l'univers mais à la planète entière, des groupes de partout, du Mexique, de la Finlande, de la Belgique, de la Russie, de l'Argentine, et d'ailleurs, jusqu'à la France... Si vous n'y croyez pas, passez sur Bandcamp, vous pouvez écouter la face A du disque, et laisser une modeste obole pour la concrétisation du projet. Pour ceux qui veulent faire partie de l'équipage, découpez le bulletin d'inscription qui s'affiche ci-dessous et renvoyez-le z'a l'adresse z'indiquée.

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    Jusque-là tout va bien, ensuite ça va mieux, ou pire, tout dépend de vos goûts musicaux et de votre orientation, non pas la sexuelle, la politique, c'est un peu à la gauche de la gauche, pour le dire blanc sur noir anarchie... trois projets en direction de l'Europe de l'Est, notamment une anthologie de groupes punk de l'ex-Yougoslavie qui s'érigèrent contre les dérives nationalistes, et qui refusèrent de rejoindre les armées de leur soit-disant appartenance ethnique.

    Vous trouverez les document idoines sur le FB : Kr'tnt Kr'tnt au-dessous de l'annonce de cette livraison 486. Damie Chad.

    Damie Chad.

    IX

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

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    35

    Je l'avoue honteusement, alors que les trois chiens semblaient devenir les meilleurs amis du monde, Thérèse et moi, profitant d'un épais fourré du square nous commîmes l'immonde péché de l'acte de chair. Nous étions prêts pour une deuxième fournée, j'emprunte cette tournure si romantique aux Contes drolatiques d'Honoré de Balzac, lorsque la voix du Chef nous arrêta net en nos élans priapiques.

      • Agent Chad, où vous êtes-vous encore fourré, sortez-moi de de ce guêpier, et allez me voler de toute urgence un camion à plateau, dépêchez-vous, c'est urgent, le sort du monde en dépend !

    36

    Pendant que je m'acquitte brillamment de ma mission, j'invite les lecteurs à lire les premiers feuillets d'Eddie Crescendo retrouvés dans la boîte à sucre.

    '' Quand je regarde le monde s'agiter autour de moi, je me rends compte combien je suis éloigné des vaniteuses turpitudes de mes contemporains. Souvent je n'arrive pas à le croire, pourtant le moindre de mes gestes me le confirme, je ne suis pas comme les autres, je suis décalé !''

    Suit un ensemble de six feuilles où le mot décalé est répété trois cent soixante huit fois, écrits rageusement ou soigneusement calligraphié, sous forme de colonnes ou jetés de travers un peu partout, en minuscules ou en majuscules.

    37

    Je vous laisse à vos méditations. Le Chef avait raison, la journée s'annonçait fatigante. Il me fallut transbahuter les huit tonnes de cigares que nous avions entreposés au rez-de chaussée sur le plateau du camion que je m'étais procuré sur un chantier.

    • Chef, pourquoi n'avons-nous pas gardé le camion qui est venu les livrer, il nous suffisait de nous débarrasser du chauffeur, d'enterrer son corps dans le jardin, et...

    • Agent Chad, cessez vos stupides récriminations, quand vous aurez fini, vous descendrez à la cave, vous m'en rapporterez la chaîne dernier cri sur lequel Alfred écoute ses disques, j'ai vu qu'elle est équipée d'un micro, cela nous sera utile.

    • Chef, je ne comprends rien à...

    • Agent Chad, si au lieu de batifoler dans les hautes herbes vous aviez pris le temps de vous plonger dans le numéro 2037 de la Série Noire, sans doute seriez-vous capable de comprendre !

    Je sursautais, le bouquin était encore dans ma poche. Saisi d'un doute post-cartésien je me précipitais dans la bibliothèque. Je piochais de-ci de-là un livre sur les étagères, à chaque fois sous une fausse couverture je trouvai un exemplaire de L'Homme à deux mains d'Eddie Crescendo !

    • A table !

    C'était Alfred qui nous appelait pour le repas.

    38

    Pendant qu'Alfred faisait la vaisselle nous tînmes conseil au fond du jardin. Le Chef alluma un Coronado et prit la parole :

      • Autant que je puisse en juger l'affaire qui nous préoccupe est d'une simplicité extrême.

      • Ouah ! opinèrent les deux chiens.

      • Entièrement de votre avis Chef, prenons par exemple le mystère de la fameuse boîte à sucre, elle contient exactement 368 sucres, vous ne pouvez pas en ajouter un autre, or Molossito a trouvé le 369 ième dans l'escalier de la villa, ce qui signifie que ce qui impossible partout ailleurs est possible dans cette villa.

      • Que comme par hasard Eddie Crescendo a louée, comme vous l'avez découvert, je me permets de vous le rappeler, agent Chad.

      • Or cette maison est sujette à d'étranges phénomènes, un jour elle est habitée, le lendemain elle est inhabitée depuis quinze ans, qui plus est peuplée par des réplicants !

      • Avec qui vous semblez être en de très courtoises relations, agent Chad

      • Certes Chef, mais la devise du Service n'est-elle pas Sexe, rock'n'roll et Coronado !

      • Ne nous égarons pas, agent Chad, pendant que j'allume un Coronado, poursuivez votre raisonnement !

      • Or nous savons que dans ses notes Eddie Crescendo a écrit trois cent soixante huit fois le mot décalé, et si nous comptons bien une trois-cent soixante-neuvième fois dans son introduction. Nous pouvons donc en conclure qu'Eddie Crescendo se trouve dans la situation de ce morceau de sucre qui est... comment dire... par rapport aux autres...

      • Décalé ?

      • Décalé, oui c'est cela, Chef, vous avez le mot juste !

      • Agent Chad, nos remarquables analyses sont en pleine progression, toutefois il reste encore un obstacle majeur à franchir. Tout comme Crescendo nous sommes venus dans cette maison, franchement entre nous, vous sentez-vous particulièrement décalé, pour ma part je répondrai non !

    Je n'eus pas le temps de réfléchir à une réponse. Molossito se mit à pousser jappements sur jappements ! Une silhouette se profilait devant la grille.

    39

    L'homme semblait hésitant. Les mains dans les poches d'un vaste imperméable il lançait de tous côtés des regards fuyants d'un représentant de commerce qui en aurait été manifestement à son quarantième refus. C'est en m'approchant que je compris qu'il avait peur des crocs retroussés de Molossa qui tapie derrière un pot de fleurs semblait prête à lui sauter dessus pour l'égorger.

      • N'ayez pas peur, c'est une tueuse redoutable mais elle n'est pas méchante !

      • Oui une belle bête, mais les chiens ne m'aiment pas, c'est... C'est comme ça... je n'y peux rien !

    Le gars se tut. Il était mort de trouille. Il me faisait pitié...

      • Je... je m'excuse de vous déranger... mais... mais je crois que vous m'avez appelé... alors je suis venu...

      • Je ne vois pas du tout, nous n'avons demandé les services de personne, peut-être vous êtes-vous trompé de numéro, nous n'avons besoin de rien !

      • Si... si vous avez besoin de moi... spécialement de moi, vous et... et votre ami qui fume des Coronados !

      • Enfin Monsieur, que voulez-vous, expliquez-vous et d'abord qui êtes vous ?

      • Mon nom ne... ne vous dira rien, je... je suis... l'homme à deux mains !

    Et le gazier les sortit de ses poches, il avait deux mains au bout de chaque bras, et, je frissonnai lorsque ses vingt doigts se refermèrent sur quatre barreaux de la grille !

    ( A suivre... )